Critique Ciné : Dehşet Bey (2025, Amazon Prime Video)

Critique Ciné : Dehşet Bey (2025, Amazon Prime Video)

Dehşet Bey // De Mehmet Ada Özteki̇n. Avec Bariş Arduç, Tûba Büyüküstün, Musa Uzunlar et Yildiray Şahi̇nler.

 

Dehşet Bey a sa petite réputation en Turquie alors j’étais curieux de voir qui est ce personnage moustachu. L’adaptation très attendue du roman graphique de Murat Menteş, réalisée par Mehmet Ada Öztekin pour Amazon Prime Video, promettait une expérience entre polar, drame et action à la turque. Sur le papier, le mélange avait de quoi séduire : un tueur d’élite pris entre la loyauté et l’amour, un réseau secret de justiciers, et une mise en scène censée marier réflexion et adrénaline. Sur l’écran, en revanche, le résultat ressemble à une belle idée qui s’est perdue dans sa propre ambition. Le héros, Dehşet est un assassin au service d’une organisation clandestine qui pallie les manquements de l’État en “rétablissant la justice” à sa manière. 

 

Dehşet, un assassin de haut rang de la Guilde des Braves, un ordre nationaliste qui recrute des orphelins dès l'enfance. Sa règle : pas d'amour, pas de mariage. Pourtant, Dehşet tombe amoureux d'Abide, défiant le code. Leur amour interdit le pousse à remettre en question la guilde et son credo — une lutte qui coûtera cher à tous.

 

Jusque-là, tout va bien : le concept rappelle ces vigilantes à la John Wick ou à la Payback, mais transposé dans une atmosphère turque, ancrée dans des thèmes comme la foi, la loyauté et la morale. L’intrigue bascule quand Dehşet tombe amoureux de Doktor, une femme qui remet en cause ses certitudes et le pousse à trahir son serment. À partir de là, le film tente de mélanger polar, romance tragique et drame existentiel… mais finit par se prendre les pieds dans le tapis. L’idée d’un héros qui découvre l’humanité dans un monde de violence n’a rien de neuf, mais elle pouvait donner un récit fort, si seulement la mise en scène suivait. Malheureusement, Dehşet Bey se perd dans des longueurs et des effets de style inutiles. 

 

Chaque plan semble vouloir dire quelque chose, mais finit par ne rien dire du tout. La caméra s’attarde sur des ralentis, des silences, des symboles… comme pour masquer le manque d’énergie du scénario. Barış Arduç, qu’on a vu briller dans des comédies romantiques ou des drames plus sobres, tente ici une composition plus sombre. Il a la prestance, mais son jeu reste figé, comme s’il hésitait entre tueur métaphysique et héros torturé. Face à lui, Tuba Büyüküstün fait le maximum avec un rôle qui aurait mérité plus de relief. Leur relation, censée être le cœur du film, manque d’intensité. On ne ressent ni passion ni danger, juste une série de dialogues polis sous fond de vengeance et de morale.

 

Les seconds rôles s’en sortent mieux : Yıldıray Şahinler et Musa Uzunlar apportent une vraie présence, tandis que Dolunay Soysert parvient à donner un peu de chair à un personnage secondaire pourtant mal écrit. Dans l’ensemble, le casting est solide, mais la direction d’acteurs semble absente. Chacun joue juste, mais sans âme. Comme si la mise en scène avait oublié de leur rappeler pourquoi leurs personnages se battent. Mehmet Ada Öztekin n’est pas un débutant. Il a déjà prouvé, avec des films comme 7. Koğuştaki Mucize, qu’il savait allier émotion et rythme. 

 

Mais ici, il semble s’égarer dans une surenchère d’influences. Dehşet Bey emprunte tour à tour à John Wick, Constantine, , sans jamais trouver sa propre identité visuelle. Il y a du style, oui, mais aucun souffle narratif. Les scènes d’action, censées être le moteur du film, manquent d’impact. Les combats sont propres, chorégraphiés avec soin, mais filmés sans tension. On a parfois l’impression de regarder une pub de luxe pour des costumes sombres et des revolvers chromés. La violence, au lieu de servir le propos, devient une esthétique vide. Le montage, lui aussi, pose problème. Certaines transitions sont abruptes, les ellipses mal gérées, et la narration s’essouffle dès la moitié du film. 

 

La première heure promet un vrai thriller, la seconde ressemble à un mélodrame mystique qui ne sait plus trop où aller. À la fin, l’émotion retombe comme un soufflé. Le scénario, coécrit à partir de l’univers de Menteş, avait pourtant matière à être passionnant. On y trouve des thèmes riches : la justice parallèle, la foi, la culpabilité, la fidélité à un code moral. Mais le film ne sait pas comment articuler tout ça. Il survole tout sans jamais creuser. Le côtéquête spirituelle est à peine effleuré, le côté justice personnelle manque de contexte, et la dimension politique reste en arrière-plan. C’est dommage, car le film aurait pu être une réflexion sur la corruption, la violence institutionnelle ou même le rapport entre l’État et le citoyen. 

 

À la place, il choisit la voie la plus simple : un héros solitaire, une trahison, une vengeance. Rien de honteux, mais rien de marquant non plus. Là où Dehşet Bey marque des points, c’est sur le plan visuel. La photographie est soignée, les décors urbains sont stylisés, et la lumière froide donne une vraie personnalité à certaines scènes. Le film joue avec les contrastes – entre luxe et ruine, ombre et néon – et parvient à créer une ambiance presque graphique, fidèle à ses origines de bande dessinée.  Le plus grand problème de Dehşet Bey, c’est qu’il ne sait pas ce qu’il veut être. Film d’action ? Drame romantique ? Thriller mystique ? Il essaye de tout faire à la fois et finit par ne maîtriser aucun de ces registres.

 

On sent une vraie envie de bien faire, une sincérité dans le propos, mais l’ensemble reste déséquilibré. Certains spectateurs verront dans Dehşet Bey une tentative courageuse de proposer autre chose que la comédie romantique turque classique. Et ils n’auront pas tort. Le film a de la gueule, il assume ses ambitions, et il ose aborder des thèmes peu explorés dans le cinéma local. Mais il reste trop prisonnier de ses références et de ses tics de mise en scène pour vraiment marquer les esprits. Dehşet Bey est un film frustrant. Ni raté, ni réussi, juste coincé entre deux intentions. 

 

Il y a du talent à tous les niveaux – dans le jeu, dans la photo, dans la musique – mais il manque un fil conducteur, une vraie vision. L’histoire de Dehşet Engiz, ce tueur en quête d’amour et de rédemption, aurait pu être puissante. Elle devient juste un récit bancal, parfois sincère, souvent maladroit. 

 

Note : 5/10. En bref, c’est un peu comme cet élixir de cinéma turc : un mélange d’ingrédients de qualité, mais sans recette claire. On sent le potentiel, on devine la passion, mais le goût reste fade. Tout n’est pas à jeter non plus. 

Prochainement sur Amazon Prime Video en France. Disponible sur Amazon Prime Video en Turquie. 

 

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