24 Octobre 2025
Eden // De Ron Howard. Avec Jude Law, Ana de Armas et Vanessa Kirby.
Eden, le nouveau long métrage de Ron Howard, avait tout pour lui avant même de commencer : une histoire vraie fascinante, un décor exotique, un casting de luxe et un réalisateur respecté. Sur le papier, le projet avait tout d’un grand film d’aventure psychologique : une poignée d’exilés allemands fuyant l’Europe des années 30 pour construire une utopie sur une île isolée des Galápagos. En pratique, le résultat s’avère plus bancal, inégal et frustrant que véritablement passionnant. Inspiré d’événements réels survenus sur l’île de Floreana dans les années 1930, Eden retrace la tentative désespérée de plusieurs colons européens de bâtir un “paradis sur Terre”.
Un groupe d'individus tournent le dos à la société actuelle. Animés d'un profond désir de changement, ils laissent tout derrière eux et misent leur avenir sur le plus improbable des endroits : le rude paysage des Galápagos.
Parmi eux, le Dr Friedrich Ritter (Jude Law), un médecin allemand persuadé que la civilisation est la source de tous les maux, et sa compagne Dore Strauch (Vanessa Kirby), qui le suit dans ce rêve d’isolement total. Ensemble, ils s’installent sur cette terre aride, persuadés d’y trouver la paix et la liberté. Mais leur tranquillité s’effrite vite. Un second couple, les Wittmer (Daniel Brühl et Sydney Sweeney), arrive à son tour, inspiré par les lettres utopiques que Ritter publiait dans la presse. Puis vient la Baronne (Ana de Armas), figure flamboyante et manipulatrice, accompagnée de ses deux amants et de ses grands projets de “paradis pour millionnaires”. Trois groupes, trois visions de l’Eden, et forcément, un affrontement inévitable.
Connu pour ses drames classiques et ses grandes fresques hollywoodiennes (Apollo 13, Un homme d’exception, Rush), Ron Howard s’aventure ici sur un terrain plus sombre. Eden se présente comme un thriller psychologique déguisé en film d’aventure, où l’idéal humain s’effondre face à la réalité brute. L’intention est claire : explorer ce que devient l’homme quand il s’éloigne des règles de la société. Mais malgré cette ambition, le film manque souvent de rythme et d’impact. La mise en scène, très académique, ne parvient pas à faire oublier la lourdeur d’un scénario qui tourne en rond. On comprend vite où tout cela va mener — la rivalité, la paranoïa, la survie — mais le film peine à injecter de la tension ou de la surprise.
Là où Eden aurait pu être un huis clos oppressant à ciel ouvert, il devient une longue démonstration de conflits prévisibles entre personnages trop typés : l’idéaliste arrogant, la compagne résignée, la baronne perverse, le mari dévoué. Des archétypes, pas des êtres humains. Le film ne manque pourtant pas de talents. Jude Law s’investit à fond dans le rôle de ce médecin obsessionnel qui se croit investi d’une mission quasi divine. Le comédien, physiquement transformé, livre une performance tendue, presque animale. Vanessa Kirby, quant à elle, tente d’apporter de la nuance à un personnage secondaire, mais souvent relégué à un rôle d’ombre.
Sydney Sweeney, elle, s’en sort avec les honneurs : son personnage de Margret Wittmer, jeune femme déterminée et lucide, est sans doute le plus attachant du lot. Son regard devient le nôtre, perdu entre fascination et horreur face à la folie des autres. Et puis il y a Ana de Armas, qui cabotine sans complexe en baronne outrancière, mélange de séduction et de cruauté. Elle illumine chaque scène, mais finit aussi par déséquilibrer l’ensemble tant son jeu paraît appartenir à un autre film. Le problème vient sans doute de la direction d’acteurs : chacun semble jouer dans son propre registre, sans véritable cohérence d’ensemble. Là où Ron Howard cherchait une étude de groupe, il obtient une juxtaposition de performances isolées.
Visuellement, Eden est irréprochable. Le directeur de la photographie Mathias Herndl sublime les paysages volcaniques du Queensland australien, recréant avec soin l’atmosphère âpre et presque lunaire des Galápagos. Les teintes sépia, les lumières rasantes et les horizons désolés donnent au film une dimension picturale indéniable. Mais cette beauté finit par se retourner contre le film : trop léchée, trop propre, elle enlève une part de sauvagerie à ce récit censé parler de la nature brute et de l’isolement extrême. L’île, censée être un personnage à part entière, reste un décor de cinéma.
Même la musique de Hans Zimmer, pourtant efficace, semble appuyer un peu trop fort sur l’émotion sans la provoquer vraiment. Le principal défaut d’Eden, c’est sa longueur et son manque de progression dramatique. Pendant plus de deux heures, les personnages se jaugent, se méfient, s’affrontent timidement… jusqu’à un dénouement trop attendu. Howard et son scénariste Noah Pink abordent de nombreuses idées – la nature humaine, la foi, la survie, la liberté – mais sans jamais aller au bout. Tout semble survolé, à l’image des dialogues qui oscillent entre le philosophique maladroit et le cliché pur.
On sent qu’il y avait là matière à une réflexion puissante sur la fragilité des idéaux, mais le film préfère dérouler ses tensions convenues plutôt que creuser ses personnages. Par moments, Eden ressemble à une télé-réalité en costumes, où chacun joue son rôle jusqu’à ce que le drame éclate. Et quand il éclate enfin, il est trop tard : l’émotion ne prend plus. Eden avait tout pour être un grand film : un sujet captivant, un réalisateur expérimenté, une distribution prestigieuse. Mais entre une écriture trop mécanique, une mise en scène sans souffle et des personnages réduits à leurs archétypes, le film finit par ressembler à ce qu’il dénonce : une illusion de paradis.
Il reste quelques beaux restes — des images superbes, un casting impliqué, une atmosphère étrange — mais le cœur du récit bat trop faiblement. À force de vouloir raconter la chute d’un rêve, Ron Howard signe surtout celle d’un projet trop lisse pour émouvoir, trop long pour captiver, et trop sage pour troubler. Eden n’est ni un désastre, ni une révélation. C’est un film solide, mais sans âme, qui laisse l’impression d’un potentiel gâché. Derrière ses grands paysages et ses belles intentions, il manque cette étincelle qui transforme une bonne idée en œuvre marquante. Un peu comme ces pionniers de Floreana, Ron Howard a voulu créer son paradis de cinéma. Mais entre ambitions mal canalisées et désirs contradictoires, il s’est surtout retrouvé face à sa propre désillusion.
Note : 4.5/10. En bref, Eden est un mirage élégant, visuellement abouti mais émotionnellement vide — une utopie de cinéma qui se dissout dans son propre sable.
Sorti le 24 octobre 2025 directement sur Amazon Prime Video
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