13 Octobre 2025
Egoist // De Daishi Matsunaga. Avec Hio Miyazawa, Ryohei Suzuki et Yûko Nakamura.
Avec Egoist, le réalisateur japonais Daishi Matsunaga signe un film d’une douceur rare, qui observe sans fard les élans du cœur, les blessures intimes et les silences de l’amour. Sous ses airs de chronique amoureuse discrète, le long métrage s’aventure pourtant sur un terrain plus vaste : celui de la différence sociale, du deuil et de la capacité à se donner aux autres. Malgré quelques longueurs et une mise en scène parfois inégale, Egoist reste une œuvre sincère, fragile, qui respire la vérité des émotions. Le film suit Kosuke, un homme d’une trentaine d’années, séduisant, installé, travaillant dans le milieu de la mode.
Kōsuke travaille pour un magazine de mode. Très soucieux de son apparence, il embauche Ryūta comme coach sportif. Au fil des entraînements, une romance s’installe entre les deux hommes. Mais Ryūta décide de mettre brusquement fin à leur relation et disparaît…
Derrière son apparente assurance, il y a pourtant un vide, une solitude que ni le succès ni le confort matériel ne comblent. C’est en cherchant un coach sportif qu’il croise la route de Ryuta, plus jeune, plus simple, issu d’un autre milieu. Ryuta a grandi seul avec sa mère malade et a dû travailler très tôt pour subvenir à leurs besoins. Entre ces deux hommes que tout semble opposer naît d’abord une attirance physique, presque banale. Mais sous la surface, quelque chose d’autre s’installe : une tendresse qui dépasse le désir, une envie d’appartenance, de réconfort. Matsunaga filme cette évolution avec une grande pudeur. Leurs gestes, leurs regards, leurs silences racontent bien plus que les dialogues.
L’amour se glisse dans les détails, dans la répétition des moments partagés, dans le souffle d’un corps qui se détend à côté d’un autre. Le titre du film, Egoist, intrigue d’abord. Il évoque l’idée d’un amour centré sur soi, alors que le film raconte exactement l’inverse. Kosuke apprend à se décentrer, à aimer sans calcul, à donner sans attendre. Son monde, fait de codes sociaux et de réussite, s’ouvre à un autre, plus brut, plus vrai. Le fossé entre leurs vies devient le moteur du récit : deux solitudes se rencontrent et tentent d’inventer une forme d’équilibre. Matsunaga aborde aussi, sans insister mais sans détour, la question de l’homosexualité au Japon. Dans un pays où les unions entre personnes du même sexe ne sont toujours pas reconnues, cet amour garde une dimension de résistance.
Le film ne cherche pas à provoquer ni à dénoncer, mais à montrer ce que cela signifie d’aimer dans un contexte où tout reste à conquérir. Egoist devient alors un plaidoyer doux mais ferme pour la liberté d’aimer, sans banderoles ni slogans. Visuellement, Egoist se distingue par son esthétique presque documentaire. La caméra, souvent portée à l’épaule, colle aux visages, aux corps, aux respirations. Les plans sont souvent fixes, composés avec soin, traversés par une lumière naturelle qui rend chaque scène tangible, presque tactile. On entend le vent, le cliquetis d’un bracelet, le froissement d’un drap. Le réalisateur semble préférer les sons du réel à la musique, laissant le silence s’installer là où d’autres mettraient un violon.
Cette économie de moyens crée une atmosphère d’intimité, mais elle peut aussi désorienter. Certains passages paraissent figés, d’autres un peu trop longs. L’émotion, parfois, se perd dans cette retenue. Matsunaga cherche la vérité du moment, quitte à sacrifier la tension dramatique. Ce choix donne un rythme lent, contemplatif, qui séduira les amateurs de cinéma japonais sensible. Pour d’autres, le film pourra sembler froid ou distant. Là où Egoist surprend, c’est dans sa seconde partie. Sans révéler l’intrigue, disons simplement que le film glisse peu à peu vers un autre type d’amour : celui qui lie un adulte à un enfant, celui qui survit à la perte.
Matsunaga explore la notion d’adoption, de responsabilité, de deuil, sans tomber dans le pathos. La douleur reste là, en sourdine, jamais surjouée. On sent que le réalisateur préfère l’émotion en creux à la démonstration. Cette évolution narrative, bien qu’inattendue, crée un léger déséquilibre. Le film semblait installé dans une forme de mélodrame intime, et le virage vers la tragédie peut dérouter. Certains y verront un approfondissement du propos, d’autres une dispersion. Mais cette bifurcation donne à Egoist une densité humaine touchante. L’amour ici n’est pas figé : il se transforme, se redéfinit, se prolonge au-delà du manque. Le duo formé par Ryohei Suzuki (Kosuke) et Hio Miyazawa (Ryuta) porte le film avec une sincérité désarmante.
Suzuki incarne la retenue, la pudeur d’un homme qui découvre ses émotions tardivement. Miyazawa, lui, rayonne d’une énergie simple, spontanée. Le contraste entre les deux acteurs donne toute sa force au récit. Leur alchimie ne passe pas par les mots mais par les silences, les gestes interrompus, les regards qui fuient. Leur relation, filmée sans voyeurisme, échappe à la caricature. Pas de clichés ni de stéréotypes : juste deux êtres qui apprennent à se rencontrer, à exister ensemble. Ce réalisme émotionnel, très rare, fait toute la valeur du film. Même quand le scénario flanche un peu, la sincérité des comédiens garde le spectateur à bord. Malgré son titre, Egoist n’est pas un film sur l’égoïsme. Il parle plutôt du chemin inverse : celui de l’ouverture, du don, du soin.
Le cinéma japonais a souvent exploré ces thèmes, mais Matsunaga le fait avec une sensualité nouvelle, à la fois crue et pudique. Il filme les corps sans les expliquer, les émotions sans les nommer. Tout passe par les sensations, par ce que les personnages ne disent pas. Le film n’est pas parfait. Certaines séquences s’étirent, quelques dialogues tombent à plat, et la mise en scène, parfois hésitante, donne l’impression de chercher son ton. Pourtant, malgré ces maladresses, Egoist laisse une trace. Il ne cherche pas à faire pleurer, mais à faire sentir. L’émotion n’explose jamais, elle coule lentement, comme une marée qui ne cesse de revenir.
Egoist est un film fragile mais sincère, un drame intime qui préfère la vérité du quotidien aux effets faciles. Daishi Matsunaga filme l’amour sous toutes ses formes — le désir, la tendresse, la perte — sans jamais trahir la pudeur de ses personnages. On en ressort apaisé, peut-être un peu mélancolique, comme après une conversation qu’on n’aurait pas voulu interrompre. Un film qui regarde l’amour comme un souffle : discret, parfois hésitant, mais bien vivant.
Note : 6.5/10. En bref, Egoist est un film fragile mais sincère, un drame intime qui préfère la vérité du quotidien aux effets faciles. Daishi Matsunaga filme l’amour sous toutes ses formes — le désir, la tendresse, la perte — sans jamais trahir la pudeur de ses personnages.
Sorti le 8 octobre 2025 au cinéma
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