17 Octobre 2025
Empire Waist // De Claire Ayoub. Avec Mia Kaplan, Rainn Wilson et Missi Pyle.
Parler du corps à l’adolescence n’a jamais été simple. C’est une période où tout semble peser : le regard des autres, la pression des réseaux sociaux, les comparaisons incessantes et cette envie de se fondre dans la masse. Avec Empire Waist, Claire Ayoub signe une comédie adolescente qui aborde ces questions sans cynisme, en privilégiant la bienveillance. Le film n’est pas parfait : parfois maladroit, parfois trop sage, mais toujours sincère dans sa manière d’explorer la honte du corps et la quête d’estime de soi. L’histoire suit Lenore (interprétée par Mia Kaplan), une lycéenne qui se cache derrière des vêtements noirs pour passer inaperçue.
Un groupe d'adolescents en surpoids surmontent ensemble les préjugés de la société et célèbrent l'acceptation de soi par le biais de la création via une collection de mode inclusive.
Plus ronde que ses camarades, elle préfère disparaître plutôt que de devenir la cible de moqueries. À l’école, elle baisse la tête, ne parle à personne et passe son temps à dessiner des robes qu’elle n’aura jamais le courage de porter. Chez elle, le contraste est frappant : un père doux et encourageant (Rainn Wilson) qui croit en elle, et une mère obsédée par le fitness (Missi Pyle), persuadée de l’aider en la poussant à “se reprendre en main”. Cette dynamique familiale, simple en apparence, cache un vrai malaise. La mère de Lenore n’est pas méchante ; elle reproduit sans s’en rendre compte les injonctions qu’elle a subies. La réalisatrice filme cette relation avec tact, sans juger.
Le film rappelle que la pression du corps idéal se transmet parfois d’une génération à l’autre, presque malgré soi. Tout change quand Lenore est associée à Kayla (formidable Jemima Yevu) pour un projet scolaire. Kayla est son exact opposé : bavarde, confiante, bien dans sa peau. Elle ne s’excuse pas d’exister, et cette assurance fascine autant qu’elle déstabilise Lenore. Peu à peu, les deux adolescentes se rapprochent et transforment leur devoir de classe en une aventure créative : participer à un concours de mode inclusif. Avec d’autres élèves marginalisées, elles forment un petit groupe soudé : Marcy (Daisy Washington), militante en fauteuil roulant ; Diamond (Kassandra Tellez), timide et brillante ; et Tina (Holly McDowell), grande fille maladroite et pleine d’humour.
Ensemble, elles décident de créer des vêtements qui célèbrent leurs différences au lieu de les cacher. Ce collectif donne au film ses plus beaux moments. Les scènes d’essayage, de fous rires et de solidarité respirent une énergie simple, authentique. Claire Ayoub filme ces instants avec une vraie tendresse. Les filles se redécouvrent à travers la mode, non pas comme un outil de conformité, mais comme un moyen de se réapproprier leur image. Empire Waist a l’élégance d’éviter le ton moralisateur. Le message de body positivity passe avant tout par le vécu des personnages, sans le besoin de grands discours.
Pourtant, le film n’échappe pas à certaines facilités : la méchante du lycée (Sylvie, jouée par Isabella Pisacane) semble sortie d’une autre époque, avec ses répliques toutes prêtes et sa cruauté caricaturale. Ce manque de nuance affaiblit un peu le propos, surtout face à la subtilité de la relation mère-fille. Le scénario aborde aussi la question queer et la diversité, mais de manière inégale. L’intention est louable : montrer que le corps, le genre et la différence font partie du même combat. Cependant, certains choix semblent forcés ou sous-développés. L’écriture reste parfois hésitante, comme si le film voulait tout dire à la fois. Le ton général oscille entre la comédie adolescente façon Disney Channel et des moments plus matures sur la honte et l’estime de soi.
Ce mélange crée une forme d’ambiguïté : le film s’adresse autant aux jeunes spectateurs qu’aux adultes qui ont connu ces blessures. Ce flou de ton n’enlève pas la sincérité du projet, mais il empêche parfois l’émotion de pleinement éclore. Si Empire Waist touche malgré ses maladresses, c’est en grande partie grâce à Mia Kaplan. Elle donne à Lenore une fragilité contenue, sans jamais tomber dans la victimisation. Son regard inquiet, ses hésitations, ses silences disent beaucoup plus que certains dialogues. Face à elle, Jemima Yevu apporte un souffle d’assurance et de joie, sans caricature. Leur duo fonctionne, donnant au film son équilibre : la retenue d’un côté, la spontanéité de l’autre.
Les seconds rôles apportent aussi leur charme. Holly McDowell se démarque par son sens du timing comique, tandis que Rainn Wilson apporte une légèreté bienvenue dans ses scènes paternelles. Quant à Missi Pyle, elle surprend par la justesse de son interprétation : son personnage, d’abord rigide, finit par révéler une vraie tendresse sous la maladresse. Le plus grand mérite de Empire Waist est d’exister. Dans un paysage cinématographique où les corps normés dominent encore, voir un film centré sur des adolescentes rondes, queer ou handicapées, est une vraie respiration. Claire Ayoub signe une œuvre inclusive, portée par une vraie envie de représenter celles qu’on ne voit jamais dans les comédies adolescentes.
Mais cette ambition s’accompagne d’une frustration. Le film effleure des sujets puissants — la grossophobie, le regard médical sur le poids, la honte intériorisée — sans toujours aller au bout. Certaines scènes, notamment celle de la pesée chez le médecin, sont d’une justesse bouleversante, mais elles laissent place trop vite à des séquences plus convenues. Il manque parfois une audace de ton, un grain de réalisme supplémentaire pour que le film prenne toute son ampleur. Malgré ses maladresses, Empire Waist reste un film attachant. Il parle d’amitié, d’art et de confiance en soi sans cynisme. Il célèbre la pluralité des corps et des parcours, dans un monde qui cherche encore à imposer une seule norme.
S’il ne révolutionne pas le genre du coming-of-age, il le rafraîchit par sa sincérité. Claire Ayoub signe un premier long métrage prometteur, plein de tendresse et d’envie. On sent le regard d’une réalisatrice qui connaît le sujet, qui veut parler à une génération en quête de repères, et rappeler aux plus âgés combien il est difficile d’apprendre à s’aimer. Empire Waist ne cherche pas à tout régler ; il offre juste un peu de douceur, de confiance et de rire. Parfois, c’est suffisant.
Note : 6/10. En bref, un film sincère sur l’acceptation de soi qui manque parfois d’assurance.
Prochainement en France en SVOD
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