20 Octobre 2025
L’Aventura // De Sophie Letourneur. Avec Philippe Katerine, Sophie Letourneur et Bérénice Vernet.
Sophie Letourneur poursuit son exploration du couple et du chaos domestique avec L’Aventura, un film qui nous emmène en Sardaigne, là où les vacances virent lentement au marathon de la fatigue. Après Voyages en Italie, la réalisatrice reprend le même dispositif d’autofiction en se mettant à nouveau en scène, accompagnée de Philippe Katerine, de leur fille de onze ans et d’un petit garçon de trois ans. L’idée de départ – transformer des souvenirs de vacances en matière cinématographique – pouvait sembler séduisante. Dans les faits, cette Aventura ressemble surtout à un long diaporama d’anecdotes banales, noyées dans un dispositif qui tourne vite à vide.
Les vacances d’été. Sardaigne, Italie. Un (road) trip en famille. Claudine, bientôt 11 ans, raconte leurs aventures au fur et à mesure. Quand Raoul, son frère de 3 ans, ne l’en empêche pas.
Dès les premières minutes, le ton est donné : Sophie, débordée, tente de gérer ses deux enfants pendant que Jean-Phi somnole dans un coin. La Sardaigne, pourtant si belle, reste en arrière-plan. Pas de grandes plages turquoise, pas de lumière dorée, pas même le charme d’un apéritif au coucher du soleil. Tout est filmé au ras du quotidien, presque comme un journal de bord où s’enchaînent les cris, les caprices, les pipis, les cacas et les engueulades. Le naturalisme revendiqué par Letourneur devient rapidement un carcan : vouloir tout montrer de la « vérité des vacances » finit par écraser toute forme de plaisir visuel ou narratif.
Au lieu d’un récit, le spectateur assiste à une suite de micro-situations – certaines drôles, d’autres désespérantes – sans véritable progression. On ne sait plus très bien si on regarde un film de fiction, un making-of ou une vidéo de famille montée à la va-vite. Sophie Letourneur s’amuse visiblement à brouiller les pistes entre réalité et mise en scène. Elle parle de son film dans le film, rejoue ses propres vacances, commente son tournage. Ce procédé méta pourrait être stimulant s’il n’était pas aussi répétitif. Le spectateur finit par ressentir une forme d’épuisement, comme après un long trajet en voiture avec des enfants qui demandent toutes les cinq minutes quand on arrive.
Le dispositif, censé apporter une réflexion sur la création et le couple, tourne en rond. Letourneur filme son propre chaos familial avec sincérité, mais sans distance. Tout devient matière à captation : la moindre dispute, la moindre galère logistique, le moindre caprice. À force de tout documenter, le film ne raconte plus rien d’autre que son propre tournage. Philippe Katerine, fidèle compagnon de route de la cinéaste, semble cette fois-ci en mode économie d’énergie. Son personnage, mi-absent mi-somnolent, traverse le film sans vraiment exister. On devine une forme de lassitude chez cet homme qui voudrait juste lire tranquille pendant que tout s’écroule autour de lui.
Mais sa nonchalance devient vite un problème : là où le duo aurait pu offrir un regard décalé sur la vie de couple, tout sonne faux. Les dialogues donnent parfois l’impression d’être improvisés sans direction claire, ce qui renforce le sentiment de flottement général. Les quelques échanges censés être comiques tombent à plat, comme si chacun attendait que l’autre ait fini de parler avant de relancer la scène suivante. Ce n’est pas un manque de sincérité, c’est juste un manque de relief. Les deux enfants, Claudine et Raoul, sont sans doute les plus réalistes du film. Leurs crises, leurs répliques et leurs moments d’agacement sonnent justes. Mais le problème, c’est que ce réalisme brut devient vite insupportable à regarder pendant près d’une heure et demie.
Ce qui pourrait être touchant en dix minutes devient épuisant sur la durée. À trop vouloir capter le quotidien dans toute sa trivialité, Letourneur oublie de ménager le spectateur. Certains y verront une audace formelle, d’autres simplement un manque de cinéma. L’absence totale de respiration – pas un plan de paysage, pas une pause contemplative – finit par rendre le film étouffant. Les vacances paraissent interminables, tout comme le film lui-même. L’Aventura n’est pas une comédie. Pas vraiment un drame non plus. C’est un objet hybride, entre carnet intime et performance d’endurance. Le film semble constamment hésiter entre le rire et la gêne, sans jamais choisir. Il y a bien quelques moments de tendresse entre mère et enfants, mais ils sont vite noyés dans le vacarme des scènes de ménage et la fatigue chronique de l’héroïne.
Ce qui frappe surtout, c’est le déséquilibre du couple. Sophie fait tout : elle conduit, prépare, s’occupe des enfants, pendant que Jean-Phi observe ou commente de loin. Ce décalage, sans doute volontaire, finit par prendre des airs de caricature. La répartition des rôles hommes-femmes y est tellement appuyée qu’elle en devient presque documentaire, mais sans humour ni recul. L’intention de Sophie Letourneur est claire : filmer la vérité des vacances, sans triche ni glamour. Montrer la fatigue, la charge mentale, le quotidien brut. C’est courageux, mais est-ce du cinéma ? La frontière est mince. Le résultat, malgré quelques scènes honnêtes, ressemble plus à une expérience personnelle qu’à un film destiné à être partagé.
Il manque une narration, un enjeu, un point de vue qui dépasse le simple constat du chaos familial. Il y a bien ici et là des touches d’autodérision, quelques idées de montage intéressantes, mais cela ne suffit pas à sauver un ensemble trop désorganisé pour être attachant. L’Aventura laisse une impression étrange : celle d’un film à la fois sincère et vain. Sincère, parce que Letourneur filme ce qu’elle connaît, sans filtre. Vain, parce que cette sincérité ne débouche sur rien d’autre qu’une suite de scènes du quotidien qu’on vit déjà tous sans avoir besoin d’un grand écran pour s’en souvenir. Ce n’est pas un désastre, mais c’est un film difficile à aimer, à moins d’avoir une passion pour les embouteillages, les enfants qui crient et les disputes de couple autour d’un GPS défaillant.
Il y a des intentions, oui. Mais aussi beaucoup de creux. L’Aventura aurait pu être un film sur la tendresse du banal ; il devient un exercice de style sur la fatigue du réel. Et quand le générique arrive, après tant de cris, de disputes et de couches pleines, une seule question reste : pourquoi ai-je eu l’impression d’avoir passé mes propres vacances là-dedans ?
Note : 4/10. En bref, L’Aventura laisse une impression étrange : celle d’un film à la fois sincère et vain.
Sorti le 2 juillet 2025 au cinéma - Disponible en VOD
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