18 Octobre 2025
Les Deux Gredins // De Phil Johnston, Todd Kunjan Demong, Katie Shanahan. Avec la voix de Margo Martindale, Johnny Vegas et Maitreyi Ramakrishnan.
Adapter Roald Dahl au cinéma n’a jamais été un exercice simple. Entre son humour noir, sa cruauté assumée et son goût pour la satire sociale, ses histoires flirtent souvent avec la frontière du politiquement incorrect. Avec Les Deux Gredins, Netflix s’attaque cette fois à l’un de ses livres les plus corrosifs, en choisissant la voie de l’animation et d’une réécriture américaine. Le résultat ? Un film coloré, bruyant, parfois drôle, mais souvent maladroit, qui semble vouloir transformer une farce cruelle en conte de tolérance.
Madame et Monsieur Gredin gèrent également un parc d'attractions dégoûtant et dangereux, Twitlandia. Bientôt, ils prennent le pouvoir dans leur ville, deux orphelins courageux et une famille d'animaux magiques doivent sauver leur communauté.
L’histoire originale de The Twits suivait un couple de personnages répugnants : Monsieur et Madame Gredin, deux êtres abominables qui se détestent autant qu’ils se complaisent dans leur méchanceté. Dahl en faisait un petit laboratoire de la bêtise humaine, un jeu de miroirs entre sadisme conjugal et humour dégoulinant de crasse. Netflix, lui, déplace tout ce petit monde de la vieille Angleterre vers un Texas caricatural. Ici, Madame Gredin (doublée par Margo Martindale) porte des santiags, Monsieur Gredin (voix de Johnny Vegas) garde son accent britannique, et leur univers se matérialise sous la forme d’un parc d’attractions aussi délabré que grotesque : Twitlandia.
On y trouve des manèges faits de toilettes, de vieux matelas et de bouts de ferraille. Une idée visuellement prometteuse… mais le film finit par se perdre dans sa propre agitation. La première surprise, c’est la tournure politique que prend cette version. Lorsque les autorités ferment Twitlandia pour raisons sanitaires, les Gredins décident de se venger en lançant une campagne pour devenir les nouveaux dirigeants de la ville. Leur slogan ? “Rendre Triperot géniale à nouveau.” Difficile de ne pas y voir une parodie à peine voilée de la politique populiste américaine. Sur le papier, l’idée avait du potentiel : Dahl a toujours aimé dénoncer la bêtise des puissants et le conformisme collectif.
Mais ici, le message manque de finesse et surtout de cohérence. Entre la comédie absurde, la critique sociale et les moments d’émotion forcée, le film ne sait plus trop à quel public il s’adresse. Pour compenser la méchanceté des Gredins, le film introduit un nouveau personnage : Beesha, une jeune orpheline intrépide doublée par Maitreyi Ramakrishnan (Mes Premières Fois). Courageuse, empathique et toujours prête à sauver le monde, elle incarne la morale du film : la gentillesse triomphe toujours. Sauf que cette morale appuyée jusqu’à la lourdeur finit par écraser ce qui faisait le sel de Dahl. Là où l’auteur britannique assumait le dégoût et la férocité comme moyens de rire de l’absurde humain, Netflix préfère lisser les aspérités.
La saleté devient du carton-pâte, la cruauté se transforme en morale éducative, et les gags dégoulinants d’autrefois sont remplacés par des chansons et de grands discours sur la bonté. C’est sans doute le principal problème de Les Deux Gredins : le film ne parvient jamais à trouver son ton. Par moments, il semble vouloir séduire les enfants avec son animation colorée et ses gags visuels. À d’autres, il s’adresse clairement aux adultes avec ses clins d’œil politiques et ses scènes un peu trop dérangeantes pour un jeune public. Le résultat, c’est une œuvre schizophrène, ni vraiment drôle ni vraiment touchante. L’humour noir de Dahl disparaît au profit d’un univers hyperactif, où tout le monde crie, chante et court dans tous les sens.
Le scénario, étiré pour tenir une durée de long-métrage, s’essouffle rapidement. Les Gredins, pourtant savoureux sur le papier, deviennent des pantins caricaturaux qui perdent toute substance. Visuellement, le film a du style, mais aussi beaucoup de lourdeur. L’animation rappelle celle des productions Illumination (Moi, Moche et Méchant), avec des textures grossières et un goût prononcé pour le chaos visuel. Le tout est saturé de couleurs criardes et de détails grotesques, comme si chaque plan voulait à tout prix retenir l’attention du spectateur.
Il y a pourtant quelques belles idées, notamment dans la conception du parc Twitlandia, dont les attractions bricolées auraient pu rappeler l’univers déjanté d’un Tim Burton ou d’un Wes Anderson. Mais la mise en scène ne prend jamais le temps de s’y attarder : tout passe trop vite, sans respiration. Derrière ses airs de farce anarchique, Les Deux Gredins cache un discours très moral : être gentil, c’est bien, être méchant, c’est mal. Un message louable, certes, mais qui sonne creux quand il est martelé à coups de chansons et de larmes de singes magiques. Ce besoin constant d’adoucir la cruauté trahit la peur du studio de choquer. Là où Dahl invitait les enfants à rire du laid, à apprivoiser le grotesque, Netflix préfère édulcorer jusqu’à rendre le tout inoffensif.
Résultat : un film qui veut parler de méchanceté mais qui n’ose jamais être méchant. Phil Johnston, déjà scénariste de Les Mondes de Ralph et Zootopie, signe ici un film qui semble hésiter entre deux publics. Cette hésitation constante fragilise tout l’ensemble. Les meilleures adaptations de Roald Dahl, de Matilda à Fantastic Mr. Fox, ont toujours su garder l’esprit frondeur de l’auteur. Les Deux Gredins, lui, veut tellement plaire à tout le monde qu’il finit par ne parler à personne. Les Deux Gredins n’est pas un désastre complet. Il reste regardable, surtout grâce à ses voix et à quelques gags visuels bien sentis. Mais l’ensemble ressemble plus à une vitrine Netflix qu’à une œuvre habitée.
Ce n’est ni une comédie grinçante ni un vrai film pour enfants, mais une sorte d’entre-deux un peu mou, incapable de choisir entre provocation et bienveillance. Au fond, le film raconte malgré lui sa propre contradiction : vouloir rendre aimables deux personnages conçus pour être haïs, c’est nier tout ce qui faisait la force du texte original. Dahl aurait sans doute trouvé ça… gredin.
Note : 3/10. En bref, Les Deux Gredins transforme la cruauté délicieusement absurde de Roald Dahl en fable moralisatrice confuse, perdant en route l’humour noir et la liberté qui faisaient toute sa saveur.
Sorti le 17 octobre 2025 directement sur Netflix
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