Critique Ciné : Météors (2025)

Critique Ciné : Météors (2025)

Météors // De Hubert Charuel et Claude Le Pape. Avec Paul Kircher, Idir Azougli et Salif Cissé.

 

Avec Météors, Hubert Charuel poursuit sa réflexion sur la France oubliée, celle des zones grises et des destins cabossés. Après Petit Paysan, qui scrutait le monde rural à travers la détresse d’un éleveur, le cinéaste revient dans sa Haute-Marne natale pour filmer cette fois l’amitié, la dépendance et la difficulté de s’en sortir quand tout semble déjà joué. Un film à la fois simple et dense, qui frappe par sa sincérité et par l’humanité qu’il accorde à ceux que la société a relégués dans l’ombre. L’histoire de Météors tient en quelques lignes : Mika (Paul Kircher) et Dan (Idir Azougli) sont deux amis d’enfance. 

 

Diagonale du vide. Trois amis inséparables. Tony est devenu le roi du BTP, Mika et Dan les rois de rien du tout. Ils ont beaucoup de rêves et pas beaucoup de chance. Après un nouveau plan raté, Mika et Dan doivent se sauver d'ici, et même se sauver tout court. Ils se retrouvent à bosser pour Tony dans une poubelle nucléaire. Est-ce le début d'une nouvelle vie ou la fin de tout ?

 

Ils traînent leur ennui dans une région où les perspectives d’avenir sont rares et où l’horizon, plat et gris, ressemble à leur quotidien. Après une décision de justice, ils tentent de se reprendre en main et trouvent du travail grâce à Tony (Salif Cissé), un autre ami, qui gère un chantier de confinement nucléaire. Ce décor de béton et de poussière devient le miroir de leurs existences : un monde de rebuts, de déchets qu’on tente d’enfouir pour ne plus y penser. Le scénario se construit autour de cette métaphore assez forte : ces jeunes hommes considérés comme “inutiles” se retrouvent à manipuler les déchets d’un pays qui les a abandonnés. L’idée pourrait paraître lourde, mais Charuel l’aborde avec pudeur, sans moralisme. 

 

Son regard reste bienveillant, presque tendre, même quand il filme la dérive de Dan, happé par l’alcool, ou l’impuissance de Mika, coincé entre fidélité et lucidité. Météors est avant tout un film sur l’amitié masculine. Pas celle des virées légères ou des blagues de potes, mais celle, plus profonde, qui naît dans la galère. Mika veut aider Dan, le sauver même, mais il ne sait pas comment faire. Son attachement devient presque une mission impossible : aimer quelqu’un qui se détruit demande une force que peu possèdent. Dans cette relation, il y a quelque chose d’émouvant, une loyauté qui persiste malgré la lassitude et la peur. Le film parvient à rendre cette tension sans jamais en faire trop.

 

Hubert Charuel montre la dépendance non pas comme un drame social à thèse, mais comme un piège du quotidien. L’alcool, ici, n’est pas un symbole, c’est une habitude, un réflexe pour supporter l’ennui et l’absence de futur. À travers Dan, il filme cette génération qui ne croit plus vraiment aux promesses, mais qui garde un reste de tendresse, une envie de lien. Le trio Paul Kircher – Idir Azougli – Salif Cissé porte le film avec justesse. Kircher, déjà remarqué dans Le Règne animal, retrouve ici un registre plus intérieur. Son jeu parfois raide sert bien Mika, ce garçon maladroit, un peu en retrait, qui tente de tenir bon face à la débâcle. Il exprime sans grands discours la fatigue d’avoir toujours à prouver qu’il vaut mieux que son environnement.

 

Face à lui, Idir Azougli impressionne par sa fragilité. Il incarne un Dan à la fois attachant et tragique, capable de faire rire une seconde avant de s’effondrer la suivante. Son regard vacille entre la colère et l’enfance, et c’est sans doute là que le film touche le plus juste. Quant à Salif Cissé, il apporte une nuance précieuse à Tony, l’ami plus stable, pris entre ses responsabilités et son passé. On sent qu’il aurait pu s’en sortir, mais qu’il reste lui aussi prisonnier de cette région et de ses compromis. Hubert Charuel filme ses personnages au plus près, avec une caméra souvent portée, presque documentaire. Ce choix crée une proximité physique avec les corps, les visages, les gestes du travail. 

 

Les silences comptent autant que les dialogues, et la lumière naturelle donne à chaque plan une texture rugueuse, presque tactile. Le réalisateur connaît cette région, il en filme les routes vides, les hangars, les cafés fatigués avec une affection palpable. Rien n’est idéalisé, mais rien n’est moqué non plus. La mise en scène joue sur le contraste entre la banalité du quotidien et la poésie de certains instants : une chanson dans une voiture, un lever de soleil sur un terrain vague, un regard échangé sans un mot. Ces moments suspendus, discrets, donnent au film une respiration, comme des éclats de lumière dans un paysage gris. Le ton oscille entre drame social, comédie d’amis et mélodrame discret. 

 

Cette hybridité donne au film une forme libre, parfois un peu inégale, mais toujours sincère. Charuel semble filmer comme il parle : sans effets, avec pudeur, mais aussi avec une vraie empathie. Ce qui frappe dans Météors, c’est la lucidité. Le film n’offre pas de solution, pas de sortie miraculeuse. Mika veut partir, Dan promet de changer, Tony fait ce qu’il peut pour maintenir l’équilibre, mais rien ne se résout vraiment. Cette absence de rédemption rend le film profondément humain. On ressent l’épuisement des personnages, mais aussi leur résistance. Ce ne sont pas des victimes, ce sont des survivants, des météores qui continuent de briller un peu avant de disparaître.

 

Le titre, mystérieux au départ, finit par prendre tout son sens. Ces “météores” sont des êtres fugaces, lumineux et condamnés à brûler trop vite. Hubert Charuel filme cette trajectoire sans pathos, avec une douceur qui rend le constat encore plus poignant. Le film parle de la France des marges, celle des territoires oubliés et des destins modestes. Ce n’est pas un décor, c’est une matière vivante. Charuel y aborde des thèmes comme la désindustrialisation, la pauvreté et la perte de repères, mais toujours à travers ses personnages, jamais par discours. Le chantier nucléaire, les jugements au tribunal, les petits boulots : tout cela compose une toile crédible, faite de contradictions et de désillusions.

 

C’est aussi un film sur la jeunesse en déshérence, celle qui rêve de partir sans jamais vraiment oser. Dans une scène marquante, Mika et Dan évoquent La Réunion comme un paradis inaccessible. On sent à quel point l’envie de fuite est une manière de respirer, même sans espoir d’y arriver. Avec Météors, Hubert Charuel signe un film à la fois rude et tendre, ancré dans une réalité sociale rarement filmée sans clichés. Sa mise en scène simple et sincère révèle une profonde affection pour ses personnages, qu’il filme sans jugement, avec justesse. Le duo Paul Kircher / Idir Azougli donne vie à une amitié bouleversante, faite de silences, de maladresses et d’amour désespéré. 

 

Météors n’est ni un film de rédemption, ni une tragédie larmoyante. C’est une chronique douce-amère, une histoire de liens fragiles dans un monde qui les use. Un film qui rappelle que même dans la grisaille, il reste toujours un peu de lumière — celle qui persiste dans le regard d’un ami, même quand tout semble perdu.

 

Note : 7/10. En bref, Météors d’Hubert Charuel dresse un portrait juste et émouvant d’une amitié masculine abîmée par la dépendance et le désespoir social, dans une France en marge filmée avec pudeur et humanité.

Sorti le 8 octobre 2025 au cinéma

 

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