14 Octobre 2025
Moi qui t’aimais // De Diane Kurys. Avec Roschdy Zem, Marina Foïs et Thierry de Peretti.
Il y a quelque chose de profondément mélancolique dans Moi qui t’aimais, le nouveau film de Diane Kurys, qui s’attarde sur les dix dernières années du couple mythique formé par Simone Signoret et Yves Montand. Ce biopic n’a rien d’un hommage académique. Il préfère explorer l’intimité, les fêlures, et ce qui reste d’un amour lorsque la passion s’effrite sous le poids du temps, de la notoriété et des trahisons. Diane Kurys a fait le choix d’éviter le grand spectacle. Pas de reconstitution tapageuse ni d’effets d’époque outranciers. Le film s’ouvre sur une mise en abîme audacieuse : Marina Foïs et Roschdy Zem se préparent à entrer dans la peau de Signoret et Montand.
Elle l’aimait plus que tout, il l’aimait plus que toutes les autres. Simone Signoret et Yves Montand étaient le couple le plus célèbre de leur temps. Hantée par la liaison de son mari avec Marilyn Monroe et meurtrie par toutes celles qui ont suivi, Signoret a toujours refusé le rôle de victime. Ce qu’ils savaient, c’est qu’ils ne se quitteraient jamais.
Ce procédé, un peu déstabilisant, place d’emblée le spectateur face à la question du double : que reste-t-il des icônes lorsqu’on tente de les rejouer ? Cette entrée en matière n’aide pas forcément à la plongée immédiate dans le récit, mais elle installe un climat de réflexion sur la mémoire et la représentation. Très vite, Kurys resserre son cadre. Elle ne cherche pas à retracer toute la carrière du couple, mais plutôt à observer leur vie privée, marquée par les tensions, les infidélités et une tendresse indestructible. Loin des plateaux de cinéma et des projecteurs, Moi qui t’aimais montre un amour qui se transforme, se déchire et se réinvente.
Le pari était risqué : faire rejouer Signoret et Montand, ces monstres sacrés du cinéma français, par deux comédiens contemporains. Le résultat est contrasté. Marina Foïs impressionne. Elle ne cherche jamais la ressemblance parfaite, encore moins l’imitation. Son jeu passe par la retenue, par une manière d’habiter la douleur et la lucidité sans jamais forcer. Dans les regards perdus, dans les silences un peu trop longs, elle parvient à capter quelque chose d’essentiel : la tristesse de Signoret face à un amour qu’elle sait condamné, mais qu’elle continue de protéger. Roschdy Zem, en revanche, semble plus contraint. Son Yves Montand manque de naturel. Le travail sur la gestuelle et la voix est visible, parfois trop. Ce mimétisme freine l’émotion.
Pourtant, il y a chez Zem une vraie volonté d’incarner le charisme et l’ambiguïté de Montand, cet homme partagé entre fidélité et désir, tendresse et orgueil. Par moments, la sincérité de son regard suffit à faire oublier le manque de ressemblance. Leur duo fonctionne dans les scènes les plus intimes, quand le film laisse place aux non-dits, aux petites attentions et aux disputes fatiguées. C’est dans ces moments que Moi qui t’aimais devient touchant : lorsqu’il se débarrasse du mythe pour ne garder que deux êtres humains, usés, mais encore reliés par l’amour. Le cœur du film, c’est la question du pardon. Comment continuer à aimer un homme qui multiplie les infidélités ? Comment rester auprès d’une femme qui s’enfonce dans la douleur et l’alcool ?
Diane Kurys filme cette dualité avec pudeur. Elle ne juge pas, ne cherche pas à excuser non plus. Elle montre simplement deux personnes qui s’aiment malgré tout, liées par un fil invisible, entre passion et dépendance. Simone Signoret apparaît ici comme une femme d’une force incroyable, lucide jusqu’à la cruauté. Elle sait tout, comprend tout, et choisit pourtant de rester. Non par faiblesse, mais par attachement. Par amour, tout simplement. Cette idée traverse tout le film : aimer, c’est aussi accepter les failles de l’autre, jusqu’à s’y perdre un peu soi-même. Sur le plan visuel, Moi qui t’aimais reste sobre. La réalisation de Diane Kurys n’a rien de spectaculaire, parfois même un peu plate. Certains y verront un style de téléfilm, mais il faut reconnaître à la cinéaste un vrai sens du détail.
Les décors, les costumes, la lumière douce des intérieurs traduisent parfaitement la nostalgie d’une époque révolue. Kurys filme le passage du temps avec délicatesse : les visages qui se marquent, les gestes qui ralentissent, les rires qui s’éteignent. Le montage privilégie les silences, les regards, les gestes suspendus. Cette lenteur assumée donne au film une atmosphère feutrée, presque domestique. Moi qui t’aimais ne cherche pas à séduire, il veut simplement observer. Cette retenue, si elle empêche parfois la tension dramatique de monter, crée aussi une proximité réelle avec les personnages. L’intérêt du film tient aussi dans la manière dont il aborde la notion de notoriété.
Signoret et Montand étaient des figures publiques, admirées, engagées, mais leur vie intime était faite de contradictions. Le film montre bien ce tiraillement entre le regard du public et la vérité du couple. Les scènes où ils affrontent les rumeurs, les journalistes, ou les tensions politiques de l’époque rappellent combien la célébrité isole. Pour qui connaît un peu leur histoire, Moi qui t’aimais ne réserve pas de grandes surprises. Les infidélités, la relation avec Marilyn Monroe, la douleur de Signoret : tout cela est déjà dans les mémoires. Mais Diane Kurys parvient à donner à ces épisodes connus une nouvelle épaisseur. Ce n’est plus un récit sur la trahison, mais sur la persistance du lien.
Au fond, Moi qui t’aimais parle autant du couple que de la mémoire collective. En revisitant ces figures emblématiques, Diane Kurys cherche sans doute à transmettre à une nouvelle génération l’émotion qu’elles ont suscitée. Le film s’adresse autant aux spectateurs nostalgiques qu’à ceux qui découvrent Montand et Signoret pour la première fois. Pour les plus jeunes, c’est une porte d’entrée vers une époque où les acteurs étaient des symboles, où la vie privée faisait partie du mythe. Pour les autres, c’est un retour vers un cinéma plus lent, plus incarné, où les émotions ne passent pas par les effets mais par les silences. Moi qui t’aimais n’est pas un grand film, mais il touche par sa sincérité.
Diane Kurys signe une chronique intime, mélancolique, parfois maladroite, mais toujours habitée par une vraie tendresse pour ses personnages. Marina Foïs y brille avec justesse, révélant une profondeur nouvelle, loin de ses rôles comiques. Roschdy Zem, malgré ses difficultés à trouver le ton juste, apporte une gravité qui finit par convaincre. Ce biopic ne cherche pas à ressusciter un mythe, mais à raconter une histoire d’amour, avec ses ombres et ses cicatrices. Ce n’est pas un film sur la gloire, mais sur la fidélité du cœur, celle qui résiste même quand tout s’effondre. Un film imparfait, mais sincère. Et parfois, c’est ce qui compte le plus.
Note : 6/10. En bref, Diane Kurys signe une chronique intime, mélancolique, parfois maladroite, mais toujours habitée par une vraie tendresse pour ses personnages.
Sorti le 1er octobre 2025 au cinéma
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