10 Octobre 2025
Muganga - Celui qui soigne // De Marie-Hélène Roux. Avec Isaach de Bankolé, Vincent Macaigne et Manon Bresch.
Certaines histoires semblent impossibles à raconter sans tomber dans le pathos. Celle du docteur Denis Mukwege en fait partie. Médecin congolais et prix Nobel de la Paix, il consacre sa vie à réparer les corps et les âmes de femmes mutilées par la guerre dans l’est de la République démocratique du Congo. Avec Muganga – Celui qui soigne, la réalisatrice Marie-Hélène Roux s’attaque à ce sujet immense, sans chercher à édulcorer la réalité. Le résultat, imparfait mais sincère, frappe par sa force morale et la sobriété de son approche. Le titre du film, Muganga – mot swahili signifiant « celui qui soigne » –, annonce d’emblée une démarche simple et humaine.
Certains combats peuvent changer le cours de l'histoire. Denis Mukwege, médecin congolais et futur Prix Nobel de la paix, soigne — au péril de sa vie — des milliers de femmes victimes de violences sexuelles en République démocratique du Congo. Sa rencontre avec Guy Cadière, chirurgien belge, va redonner un souffle à son engagement.
Marie-Hélène Roux, réalisatrice née au Gabon, connaît bien le continent africain et s’éloigne des clichés de misérabilisme ou d’exotisme qui polluent souvent ce type de récit. Elle choisit une forme quasi documentaire pour retracer le parcours de Mukwege, depuis la création de son hôpital de Panzi en 1999 jusqu’à sa reconnaissance internationale. Le film ne se limite pas à dresser un portrait héroïque. Il s’intéresse aussi à l’environnement politique et économique qui alimente les violences. La guerre pour le contrôle du coltan – minerai indispensable à la fabrication de nos téléphones portables – sert de toile de fond. Les viols de masse, utilisés comme arme pour terroriser et dominer les populations, sont replacés dans cette logique d’exploitation mondialisée.
Ce lien, à la fois glaçant et nécessaire, donne au film une dimension universelle : derrière chaque smartphone, il y a une part de ces drames. Marie-Hélène Roux adopte une mise en scène épurée, presque clinique. La caméra se place à hauteur d’homme, au plus près des gestes et des regards. L’intention est claire : ne pas détourner le spectateur de l’essentiel. Certains plans, notamment ceux tournés dans l’hôpital de Panzi, traduisent la tension entre l’horreur et l’espoir. Pourtant, cette retenue finit parfois par freiner l’émotion. Le film choisit de ne rien montrer de frontalement insoutenable. La violence est évoquée par les mots, les silences et les visages. Ce parti pris, noble et respectueux, peut aussi laisser une impression de distance.
L’horreur devient abstraite, presque lointaine. Tout repose alors sur la parole des femmes et sur le regard du médecin. Le choc est moral plutôt que visuel. Certains spectateurs y verront un signe de pudeur ; d’autres regretteront un manque d’incarnation. Il y avait sans doute un équilibre à trouver entre le refus du voyeurisme et la nécessité de faire ressentir la brutalité des faits. Dans le rôle du docteur Mukwege, Isaach de Bankolé livre une interprétation à la fois digne et intériorisée. Trop rare au cinéma, l’acteur franco-ivoirien trouve ici un rôle à sa mesure. Son jeu tout en retenue évoque la fatigue d’un homme usé par la souffrance des autres, mais incapable de renoncer. Il ne cherche pas à imiter le vrai Mukwege, il en restitue plutôt l’énergie morale, la conviction tranquille.
À ses côtés, Vincent Macaigne incarne Guy-Bernard Cadière, chirurgien belge venu prêter main forte à Panzi. Leur duo fonctionne bien. L’un croit en Dieu, l’autre non. Leur amitié, faite de respect et de désaccords, structure le récit. C’est dans leurs échanges que le film trouve sa respiration, loin des discours et des symboles. La jeune Manon Bresch, dans le rôle de la fille de Cadière, apporte un contrepoint plus léger, presque candide. Sa présence, discrète, permet d’aérer un récit souvent lourd émotionnellement. Muganga – Celui qui soigne n’est pas un film spectaculaire. Sa force réside dans sa sincérité, pas dans sa forme. La photographie de Renaud Chassaing, lumineuse sans être démonstrative, donne au Congo une beauté âpre et vraie.
Pourtant, le film reste parfois trop sage. Le montage linéaire, la narration très classique, font penser à un biopic académique. Il manque à l’ensemble une tension dramatique, un souffle cinématographique qui permettrait de dépasser le simple devoir de mémoire. Cette retenue se retrouve aussi dans la façon dont le film aborde les enjeux politiques. Les complicités internationales, les intérêts économiques, la corruption locale : tout cela est évoqué, jamais vraiment approfondi. Comme si la réalisatrice craignait de s’éloigner du portrait de son héros. Ce choix se comprend, mais limite la portée du propos. Malgré tout, la démarche de Marie-Hélène Roux reste profondément honnête.
Elle ne cherche pas à transformer Mukwege en saint. Elle montre un homme fatigué, parfois en colère, parfois impuissant, mais toujours debout. C’est ce mélange d’humanité et de foi qui rend le film touchant. Ce qui marque le plus dans Muganga – Celui qui soigne, ce ne sont pas les images de guerre ni les discours, mais les visages. Ceux des femmes rescapées, ceux des soignants, ceux du médecin lui-même. La caméra de Roux s’attarde sur leurs yeux, leurs cicatrices, leur dignité. Sans effets ni musique appuyée, elle laisse place au silence, à la respiration, au courage ordinaire. Certaines scènes restent en mémoire, notamment la première, d’une violence morale inouïe.
En quelques minutes, tout est dit : la peur, la honte, la souffrance. Le reste du film ne fait que décliner cette première secousse. Le spectateur ne peut plus ignorer. Il regarde désormais avec ce qu’il a ressenti. Cette expérience de cinéma, plus sensorielle que narrative, donne à réfléchir. Elle renvoie chacun à sa propre responsabilité, à sa part de confort construit sur la douleur des autres. Sans moralisme, Muganga interroge notre complicité passive dans un monde où l’exploitation se cache derrière la technologie. Le film de Marie-Hélène Roux ne cherche pas l’effet-choc, mais la prise de conscience. Il s’inscrit dans une tradition de cinéma engagé, à la frontière entre fiction et documentaire.
Par son approche pudique, il invite à écouter plutôt qu’à juger. Il ne délivre pas de message tout fait, il pose une question : que fait-on de cette souffrance une fois qu’on la connaît ? Malgré ses limites de rythme et de construction, Muganga – Celui qui soigne reste une œuvre nécessaire. Elle rappelle que le cinéma peut encore servir à témoigner, à éveiller, à déranger. Ce n’est pas un film parfait, mais un film utile. En sortant de la salle, difficile de ne pas penser à ce que Denis Mukwege représente : un homme debout face au chaos, un médecin qui croit encore que soigner, c’est résister. Et si le film ne parvient pas toujours à rendre justice à l’ampleur de son combat, il a au moins le mérite de le faire exister à l’écran, avec pudeur et respect.
Note : 6.5/10. En bref, malgré ses limites de rythme et de construction, Muganga – Celui qui soigne reste une œuvre nécessaire. Elle rappelle que le cinéma peut encore servir à témoigner, à éveiller, à déranger. Ce n’est pas un film parfait, mais un film utile.
Sorti le 24 septembre 2025 au cinéma
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