21 Octobre 2025
Ponyboi // De Esteban Arango. Avec River Gallo, Dylan O'Brien et Victoria Pedretti.
Dans le paysage souvent formaté du cinéma indépendant américain, Ponyboi débarque comme un souffle inattendu. Ce film signé Esteban Arango s’impose moins comme un simple thriller criminel que comme une plongée sensorielle et émotionnelle dans la vie d’un personnage trop rarement représenté à l’écran : un jeune intersexe latino, perdu entre les rues de New Jersey et ses propres désirs d’évasion. Porté par River Gallo, qui en est aussi le scénariste, Ponyboi mélange les codes du néo-noir, du drame intime et de la romance mélancolique, le tout baigné dans une lumière néon qui oscille entre cauchemar et tendresse.
Au cours de la Saint-Valentin, un jeune travailleur du sexe intersexué doit fuir la mafia après qu'un trafic de drogue a mal tourné.
Dès les premières minutes, Ponyboi impose son monde : un lavoir miteux, un patron dealer, des clients douteux, et un protagoniste qui survit plus qu’il ne vit. Ponyboi (interprété par Gallo) travaille pour Vinny (Dylan O’Brien), un petit caïd de quartier qui jongle entre trafic, prostitution et tromperies. Sous les néons roses et bleus, ce décor sordide devient presque poétique : on sent la sueur, la poussière, la musique étouffée d’un jukebox qui refuse de mourir. Ce que réussit Esteban Arango, c’est d’amener un regard neuf sur un genre usé. Le film ne cherche pas à choquer, ni à surjouer la marginalité. Il préfère observer. Ponyboi n’est ni une victime ni un symbole : c’est une âme abîmée mais vivante, un être qui tente d’exister dans un monde qui le rejette.
La dimension intersexe et queer n’est jamais traitée comme un gimmick ou un prétexte. Elle fait partie intégrante du personnage, de sa manière de parler, d’aimer, de se défendre. C’est cette authenticité qui rend le film si singulier. À travers Ponyboi, le cinéma trouve enfin un héros dont la fragilité devient une forme de force. Difficile de parler de Ponyboi sans évoquer la performance de River Gallo. Acteur, scénariste et âme du projet, Gallo incarne son personnage avec une justesse désarmante. On sent à chaque scène une expérience vécue, une sincérité brute. Il y a dans son jeu une oscillation constante entre dureté et douceur : un regard vide de fatigue, puis soudain, un sourire fragile, une lueur d’espoir.
Sa complicité à l’écran avec Murray Bartlett, qui joue un cowboy de passage, apporte les moments les plus lumineux du film. Leurs scènes ensemble — notamment celle où ils reprennent I’m on Fire dans une laverie vide — créent un contraste bouleversant avec la violence du reste de l’histoire. Entre ces deux êtres cabossés se tisse une romance improbable, un souffle de tendresse au milieu du chaos. Dans un contre-emploi audacieux, Dylan O’Brien se débarrasse totalement de son image de jeune premier pour incarner Vinny, un pimp loser et colérique, coincé dans ses propres illusions de pouvoir. O’Brien se glisse dans la peau de ce personnage toxique avec une crédibilité surprenante.
Il dégage à la fois le charme du manipulateur et la médiocrité du mec qui sait qu’il a raté sa vie. Ce rôle marque une vraie évolution dans sa carrière : il prouve qu’il peut porter des personnages plus sombres, plus humains, loin des héros propres sur eux du cinéma grand public. À ses côtés, Victoria Pedretti apporte une chaleur bienvenue dans le rôle d’Angel, la petite amie enceinte de Vinny et amie de Ponyboi. Elle incarne ce mince fil de bienveillance qui empêche l’histoire de sombrer complètement dans le désespoir. Visuellement, Ponyboi est un vrai régal. La direction photo d’Ed Wu transforme les rues sales du New Jersey en un tableau électrique, où chaque couleur raconte une émotion.
Le film respire les années 80 — pas dans le sens nostalgique, mais dans celui du néo-noir sensuel et fiévreux. Les ombres se mêlent aux reflets, les néons colorent les visages, et chaque plan semble naviguer entre rêve et cauchemar. Ce travail visuel ne sert pas seulement l’esthétique : il exprime l’état intérieur du personnage. La lumière des enseignes devient celle de la survie, l’obscurité celle de la honte ou du souvenir. Là où beaucoup de films de genre se contentent d’imiter, Arango compose une atmosphère à la fois poétique et crue, une vision qui semble sortir tout droit du cœur de Ponyboi. Derrière ses airs de polar nocturne, Ponyboi parle avant tout de l’identité et de la survie émotionnelle.
À travers ce personnage qui vend son corps et fuit la violence des autres, Arango et Gallo racontent le besoin vital d’être vu, reconnu, aimé pour ce qu’on est vraiment. Les thématiques queer et intersexes sont traitées avec délicatesse, sans didactisme. Le film évoque la solitude, la honte, mais aussi le courage de ceux qui continuent à rêver malgré tout. Quand Ponyboi avoue à Bruce : « Je suis né un peu différent », la réplique résonne bien au-delà de la scène. Elle condense ce que le film a de plus puissant : une affirmation tranquille de soi, sans justification, sans excuse. Ponyboi est difficile à ranger dans une seule case. Ce n’est ni un drame social ni un simple thriller. C’est une fugue nocturne, un film qui parle de crime, de désir et de rédemption avec une énergie libre, presque punk.
La tension monte, la violence éclate, mais le ton reste toujours humain. Même quand le scénario prend des virages un peu attendus, la sincérité des personnages maintient l’intérêt. Certains passages flirtent avec la caricature, mais le film ne perd jamais de vue son centre : Ponyboi lui-même. C’est cette focalisation qui rend l’œuvre si touchante. L’histoire ne cherche pas à moraliser, elle observe un être humain dans toute sa complexité. Avec Ponyboi, Esteban Arango signe une œuvre imparfaite mais habitée, traversée par une énergie rare. Le film mélange le côté cru du polar et la fragilité de la confession intime. Il rappelle qu’un cinéma de genre peut aussi être un cinéma du cœur, à condition de laisser une vraie place aux émotions.
River Gallo, par sa présence magnétique et son écriture sensible, s’impose comme une nouvelle voix à suivre. Son Ponyboi n’est pas un héros parfait, mais il est profondément humain, et c’est peut-être ce qu’on avait besoin de voir. Sous ses néons colorés, Ponyboi raconte le courage d’exister quand tout semble perdu. Et pour ça, il mérite d’être vu, discuté, et surtout, ressenti.
Note : 7/10. En bref, Esteban Arango signe une œuvre imparfaite mais habitée, traversée par une énergie rare. Le film mélange le côté cru du polar et la fragilité de la confession intime. Il rappelle qu’un cinéma de genre peut aussi être un cinéma du cœur, à condition de laisser une vraie place aux émotions.
Prochainement en France en SVOD
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