Critique Ciné : Propre (2025, Netflix)

Critique Ciné : Propre (2025, Netflix)

Propre // De Dominga Sotomayor. Avec Maria Paz Grandjean, Rosa Puga Vittini et Ignacia Baeza.

 

Propre, le nouveau long-métrage de Dominga Sotomayor, appartient à cette catégorie rare où le vide, le silence et le geste deviennent des langages à part entière. Inspiré du roman d’Alia Trabucco Zerán, le film plonge dans l’intimité d’une femme de ménage, Estela, interprétée par Camila Ríos, et transforme le quotidien le plus banal en miroir social et existentiel. Le point de départ est minimaliste : Estela travaille depuis plusieurs années dans une maison de Santiago pour un couple aisé, Cristóbal et Mara. Elle s’occupe de leur fille, Julia, plus qu’ils ne le font eux-mêmes. 

 

La relation entre Estela, une employée de maison, et la fillette de six ans dont elle s’occupe jour et nuit.

 

Elle nettoie, range, essuie, sans qu’on sache vraiment depuis quand elle est là, ni pourquoi elle reste. Dominga Sotomayor ne cherche pas à combler ces zones d’ombre ; elle les cultive. Tout ce qu’on sait d’Estela passe par ses gestes : un chiffon tordu, un sol qu’elle astique, une vitre qu’elle polit jusqu’à disparaître derrière son propre reflet. Cette économie de mots peut frustrer, mais elle est aussi la force du film. Propre raconte une vie silencieuse dans un monde bruyant. Une existence qu’on ne remarque que lorsqu’elle cesse de briller. Le film s’ouvre sur un plan d’une simplicité désarmante : un seau d’eau, une main qui frotte, une goutte qui tombe. 

 

On comprend tout de suite que le ménage n’est pas seulement une tâche, c’est un rituel. Sotomayor filme Estela comme un fantôme domestique, prisonnière d’une maison qu’elle entretient sans jamais y appartenir. La caméra, souvent portée à hauteur d’épaule, la suit de près, trop près parfois, comme une respiration dans son cou. Ce choix crée une intimité dérangeante. Le spectateur devient presque un intrus, invité à observer sans juger. La lumière de José Luis Torres Leiva fait le reste : blanche, mate, presque chirurgicale. Chaque rayon de soleil traverse les rideaux comme un scalpel, découpant les espaces en zones propres et impures. Le film semble lui-même vouloir devenir propre — débarrassé du superflu, des effets, des dialogues explicatifs. 

 

Il y a peu de musique, presque pas de mots. Les sons du quotidien — un seau qui se renverse, un balai sur le carrelage, le vrombissement d’un aspirateur — deviennent une partition sonore à part entière. Dans Propre, le bruit est émotion, et le silence, tension. Camila Ríos porte le film à bout de souffle, au sens propre. Son Estela parle peu, mais son corps dit tout : la fatigue, la peur, le désir de disparaître. Elle vit dans les marges d’une famille qui la tolère comme une fonction. Pourtant, dans ses silences, il y a une force immense. Quand la patronne (Paulina García) lui dit d’un ton froid : « Ici, tout doit briller », Estela acquiesce. Mais son regard, lui, raconte une autre histoire — celle d’une femme qui se débat entre l’obéissance et la disparition.

 

Le lien qu’elle entretient avec la petite Julia (Rosa Puga Vittini) apporte un souffle d’humanité. Entre elles, quelques gestes suffisent : une serviette posée sur les épaules, une main sur la joue. Ces moments suspendus disent plus sur l’amour et la maternité que bien des dialogues. Sous ses airs minimalistes, Propre parle de classe, de pouvoir et d’invisibilité. Estela incarne cette armée silencieuse de femmes qui nettoient le monde sans jamais y laisser leur trace. Dominga Sotomayor ne cherche pas la dénonciation frontale, mais l’observation. Le film interroge ce rapport hiérarchique où la propreté devient un signe de domination : ceux qui ordonnent à nettoyer et ceux qui s’effacent pour que tout reste net.

 

Mais derrière cette façade polie, quelque chose se fissure. Le décor trop lisse, les gestes trop répétés finissent par trahir un malaise. Estela n’est pas qu’une employée ; elle est une présence qui absorbe tout : la poussière, les secrets, les tensions d’un foyer. Peu à peu, sa silhouette se confond avec la maison elle-même, jusqu’à devenir presque invisible. Certains reprocheront à Propre sa lenteur, son absence d’émotion apparente. Pourtant, c’est précisément dans cette retenue que réside son intérêt. Sotomayor ne cherche pas à émouvoir, mais à observer. Elle filme le travail domestique comme un état de survie, une manière d’exister sans prendre de place.

 

La scène finale condense tout le propos : Estela s’arrête, regarde la caméra pour la première fois. Un regard sec, fatigué, sans colère ni résignation. Rien n’est résolu, mais tout est dit. Le monde autour d’elle reste sale, même si la maison brille. Ce moment de face-à-face clôt le film avec une simplicité qui glace. Propre ne cherche pas à plaire ni à tout expliquer. Le film avance comme une respiration lente, presque méditative. Chaque plan est une tentative d’effacement, chaque son un rappel de la solitude. C’est un cinéma de sensation plus que de narration, proche du travail de Lucrecia Martel ou de Kelly Reichardt, où les détails du quotidien deviennent des révélateurs de condition humaine.

 

Le film échappe pourtant à la froideur grâce à son humanité discrète. Dans les gestes d’Estela, il y a une forme de résistance : celle de continuer à nettoyer un monde qui ne la voit pas. Propre est un film sur la fatigue du visible. Dominga Sotomayor signe un drame intime et social, à la fois distant et profondément sensoriel. Ce n’est pas un film qui bouleverse, mais un film qui reste, comme une tache qu’on ne parvient pas à faire disparaître. À travers Estela, le film parle d’un monde où la propreté devient un mirage, et où celles qui la fabriquent finissent par s’effacer. Propre ne cherche pas à briller — il préfère observer ce qui, sous la surface lisse, refuse de se taire.

 

Note : 6.5/10. En bref, Propre observe avec lenteur et précision la vie silencieuse d’une femme de ménage, transformant gestes quotidiens et silences en un portrait intime et social poignant.

Sorti le 10 octobre 2025 directement sur Netflix

 

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