Critique Ciné : Solvent (2025, direct to SVOD)

Critique Ciné : Solvent (2025, direct to SVOD)

Solvent // De Johannes Grenzfurthner. Avec Jon Gries, Aleksandra Gwen et Johannes Grenzfurther.

 

Johannes Grenzfurthner continue de creuser son sillon dans le cinéma d’horreur indépendant avec Solvent, un film à la fois cérébral, poisseux et désorientant. Ce faux documentaire plonge dans les tréfonds de la mémoire collective autrichienne tout en tordant les codes du found footage. Le résultat est intrigant, souvent fascinant, parfois frustrant. Il y a là une vraie envie de bousculer un genre qui a largement perdu de son éclat depuis les années 2010, mais Solvent ne parvient pas toujours à trouver le juste équilibre entre expérimentation formelle et tension dramatique. Le film suit Gunner S. Holbrook, un ancien militaire américain reconverti dans la recherche de biens rares et fragiles.

 

En cherchant des documents nazis en Autriche, des chercheurs découvrent un sombre secret sous une ferme. Alors que l'expatrié Gunner Holbrook enquête sur ce mystère, sa perception de la réalité vacille. Il lutte contre une force maléfique, courant contre la montre pour se sauver.

 

Engagé par la chercheuse polonaise Krystyna, il se rend dans un village autrichien pour fouiller la ferme abandonnée de Wolfgang Zinggl, ancien dignitaire nazi disparu depuis des décennies. Ce qui devait être une mission d’archéologie historique tourne rapidement à l’obsession. En explorant la maison puis une mystérieuse cave attenante, Holbrook et son équipe découvrent un secret enfoui, une matière étrange qui semble littéralement absorber la mémoire et la raison de ceux qui s’en approchent. Solvent bascule alors du film d’enquête au cauchemar existentiel, entre body horror et chronique d’une lente décomposition mentale. 

 

Le tout est filmé à la première personne, façon caméra portée, avec une esthétique documentaire qui enferme le spectateur dans la tête du protagoniste. Ce qui distingue Solvent du found footage classique, c’est la manière dont Grenzfurthner détourne le format. Ici, la caméra n’est pas seulement un outil de narration, mais un prolongement de la psyché du personnage. On ne voit que ce que Holbrook filme, et parfois, ce qu’il croit filmer. Les images deviennent floues, tremblées, saturées, à mesure que son esprit se délite. Le procédé est efficace, surtout dans la première moitié du film, où la tension monte doucement sans recours au jump scare.

 

Mais à force de pousser ce dispositif jusqu’à la transe, Solvent finit parfois par tourner en rond. Le film se complaît dans sa propre esthétique du chaos, et il manque parfois d’un vrai point de rupture, d’une bascule émotionnelle qui permettrait de relancer l’intérêt. L’expérience est immersive, mais aussi un peu épuisante — une qualité autant qu’un défaut dans ce type de cinéma. Sous ses airs de film de genre, Solvent aborde un thème bien plus large : la mémoire et la culpabilité. L’Autriche, comme l’Allemagne, a longtemps eu du mal à faire face à son passé nazi. En plaçant l’action dans une ferme héritée d’un criminel de guerre, Grenzfurthner transforme l’horreur historique en infection littérale.


Le “solvant” du titre, liquide visqueux et indéfinissable, agit comme une métaphore : ce que l’on tente de dissoudre — les crimes, la honte, la responsabilité — finit toujours par remonter à la surface. Il y a dans cette idée une puissance politique indéniable, renforcée par le contexte contemporain, alors que la montée de l’extrême droite autrichienne donne au film une résonance troublante. Le réalisateur se met lui-même en scène dans le rôle d’Ernst, petit-fils du nazi disparu, ajoutant une couche d’ambiguïté supplémentaire. Il joue avec la frontière entre l’intime et le collectif, entre la fiction et la mémoire familiale. Ce mélange est parfois vertigineux, parfois un peu démonstratif, mais il donne au film une authenticité rare.

 

Jon Gries est impeccable en explorateur hanté par sa propre culpabilité, oscillant entre ironie et désespoir. Son jeu, principalement vocal, ancre le film dans une réalité fragile. Face à lui, Aleksandra Cwen apporte une intensité presque mystique à son personnage. Leur duo fonctionne bien, surtout dans la première partie, quand l’équipe fouille la maison et découvre les premiers indices. Mais Solvent souffre d’un certain déséquilibre narratif. Le film s’étire parfois inutilement, notamment dans ses passages de monologue intérieur, où la voix de Holbrook commente ses propres dérives avec une gravité qui finit par lasser. Grenzfurthner a le mérite de vouloir éviter les effets faciles, mais sa mise en scène finit par manquer de respiration. 

 

Le found footage, par définition limité dans son cadre et sa temporalité, aurait peut-être gagné à être contrebalancé par des séquences plus construites, pour varier le rythme. Visuellement, Solvent est d’une beauté crasse. La caméra explore des recoins moisis, des objets souillés, des bocaux remplis d’urine ou de restes organiques, dans un mélange de dégoût et de fascination. Le body horror, bien que discret, surgit avec un vrai sens du malaise : un corps qui suinte, un tuyau qui respire, une matière noire qui semble vivante. Ces moments dérangent sans jamais tomber dans la surenchère gore. Là encore, Grenzfurthner prouve qu’il sait manipuler la suggestion autant que la provocation.

 

Ce mélange d’humour noir, de critique historique et d’expérimentation formelle donne au film une personnalité à part. Même quand Solvent ne fonctionne pas pleinement, il reste intéressant. Ce n’est pas un film “agréable”, ni vraiment “effrayant”, mais une expérience étrange, dense, parfois absurde, qui cherche à faire réagir plutôt qu’à divertir. En cherchant à redonner du sens au found footage, Grenzfurthner signe un film hybride, entre essai philosophique et cauchemar viscéral. Mais si Solvent intrigue et secoue, il lui manque ce petit quelque chose — une émotion plus claire, une tension plus soutenue — pour vraiment s’imposer comme un grand film de genre.


Il reste un objet fascinant, nourri par la colère et la lucidité, mais un peu trop enfermé dans ses propres codes pour toucher plus largement. En résumé, Solvent est une proposition audacieuse : un found footage autrichien hanté par la mémoire du nazisme, où le corps et l’histoire se contaminent mutuellement. C’est un film imparfait, parfois trop cérébral, mais qui a le mérite d’exister à contre-courant d’un cinéma d’horreur souvent formaté. Un objet étrange, inconfortable, qui cherche à dissoudre la frontière entre passé et présent — quitte à s’y perdre un peu.

 

Note : 5.5/10. En bref, Solvent est une proposition audacieuse : un found footage autrichien hanté par la mémoire du nazisme, où le corps et l’histoire se contaminent mutuellement. C’est un film imparfait, parfois trop cérébral, mais qui a le mérite d’exister à contre-courant d’un cinéma d’horreur souvent formaté. 

Prochainement en France

 

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