18 Octobre 2025
Un fantôme dans la bataille // De Agustín Díaz Yanes. Avec Susana Abaitua, Andrés Gertrudix et Iraia Elias.
Dans le monde du cinéma d’espionnage, certaines histoires hantent davantage par ce qu’elles laissent vide que par ce qu’elles montrent. Un fantôme dans la bataille est exactement de cette trempe : l’histoire d’une présence définie par son absence. Ici, il ne s’agit pas de courses-poursuites effrénées ni de gadgets high-tech, mais du lent effacement d’une vie humaine sous le poids d’un mensonge méticuleusement construit. Le film suit Amaia, officier de la Guardia Civil en 1992, qui accepte de disparaître de sa propre vie pour infiltrer une organisation terroriste.
Inspiré par les vies et les expériences de plusieurs membres de la Garde civile directement impliqués dans la lutte contre le terrorisme et ancré dans le contexte historique, politique et social des années 1990 et 2000, Un fantôme dans la bataille raconte l'histoire d'Amaia, une jeune garde civile qui passe plus de dix ans à travailler comme agent infiltrée au sein de l'ETA, dans le but de localiser les cachettes du groupe dans le sud de la France.
Pendant douze ans, elle devient un fantôme au sein de l’ETA, menant un double-jeu permanent où chaque geste, chaque mot doit être calibré. Dès les premières scènes, le réalisateur Agustín Díaz Yanes plante le décor : le vrai conflit n’est pas extérieur, mais intérieur. Le danger physique est omniprésent, mais c’est l’annihilation psychologique qui pèse le plus lourd. Un fantôme dans la bataille est une longue respiration tendue, un récit sur le prix immense d’un mensonge et la possibilité effrayante que, passé tout ce temps, il ne reste plus qu’un fantôme. Le film doit beaucoup à Susana Abaitua, qui incarne Amaia avec une précision froide et captivante.
Sa performance est un exercice de soustraction : tout ce qu’elle ne dit pas, tout ce qu’elle retient, devient porteur d’émotions. Amaia doit rester illisible pour survivre, et Abaitua transforme cette contrainte en tension palpable. Chaque regard, chaque micro-hésitation devient un outil narratif. Il ne s’agit pas d’un déguisement temporaire : c’est douze ans de démantèlement méthodique d’une personne. Cette retenue exigeante implique que le spectateur reste observateur, presque clinique. On ne partage pas ses émotions directement ; on les devine à travers la minutie de ses actions et la logique impitoyable de sa survie. C’est un choix narratif qui sacrifie le confort du spectateur au profit d’une authenticité implacable, et qui communique avec efficacité le coût humain d’une telle mission.
Agustín Díaz Yanes adopte une mise en scène mesurée, froide et méthodique. Chaque plan est calculé, chaque mouvement réfléchi, dans une esthétique qui rappelle les thrillers européens des années 1970. La photographie de Paco Femenía contribue à cette atmosphère oppressante : tons gris, routes embrumées, villes silencieuses, autant de cadres qui reflètent la captivité psychologique d’Amaia. Elle apparaît souvent isolée, minuscule face à un environnement indifférent ou hostile. L’une des décisions les plus audacieuses du film est l’utilisation d’archives réelles de l’époque. Au milieu de la fiction, le récit s’interrompt pour montrer des images brutes d’attaques de l’ETA et de leurs conséquences.
Ce contraste brutal rappelle que derrière l’histoire d’infiltration se cache une réalité historique lourde, transformant le film en document de mémoire autant qu’en thriller. Le film ne se contente pas d’Amaia. Les membres de l’organisation, en particulier les femmes idéologues interprétées par Iraia Elias et Ariadna Gil, incarnent un danger constant. Leur conviction tranquille mais implacable rend leur violence d’autant plus inquiétante. Ils ne sont pas caricaturaux : leur normalité accentue la tension et la menace. Le lien avec son superviseur, joué par Andrés Gertrúdix, symbolise à la fois son attachement au monde réel et la machine institutionnelle qui exige son sacrifice.
Le scénario enrichit l’histoire avec des détails poétiques : des chansons italiennes servent de codes, la poésie de W.B. Yeats ponctue son quotidien. Ces éléments sont des fragments de son identité passée, de la beauté préservée au milieu d’une vie officialisée par le mensonge. Chaque petit détail devient un acte de défi et un risque permanent. La narration adopte un rythme lent et régulier. Les scènes de danger sont rares, mais la tension ne faiblit jamais. L’horreur est moins dans l’action que dans le quotidien : la peur d’être démasquée, la solitude d’un secret maintenu. La force du film réside dans cette focalisation sur le poids émotionnel d’une double vie, plutôt que sur des artifices spectaculaires.
Quelques passages ralentissent le récit, en particulier au milieu, mais la qualité de la photographie et l’atmosphère maintiennent l’attention. Pour un public peu familier avec l’histoire de l’ETA, certaines références historiques peuvent paraître floues. Cependant, le cœur émotionnel de l’histoire suffit à captiver. Le casting secondaire, incluant Raúl Arévalo, Eduardo Rejón et Jaime Chávarri, apporte de la crédibilité à l’intrigue. Chacun de leurs personnages contribue à la tension et montre différentes facettes du conflit. La bande-son et les bruitages sont également remarquables : discrets mais efficaces, ils soulignent la menace et la solitude sans jamais surdramatiser.
Le film interroge ce que signifie vraiment le courage. Être héroïque ne consiste pas à exploser des ennemis, mais à vivre chaque jour sous une menace invisible, en cachant sa véritable identité. Chaque choix d’Amaia coûte un fragment de son existence, et son combat est autant contre elle-même que contre l’organisation qu’elle infiltre. Un fantôme dans la bataille rappelle que certaines victoires sont invisibles et que la liberté a parfois un prix effroyable. Un fantôme dans la bataille est un thriller politique espagnol exigeant, qui privilégie la psychologie et la tension intérieure à l’action spectaculaire. Le film met en lumière l’épuisement émotionnel d’une vie sous couverture et interroge les spectateurs sur le prix de la loyauté et de la vérité.
Susana Abaitua porte l’histoire avec une intensité silencieuse et convaincante, transformant Amaia en figure à la fois héroïque et tragique. Certes, le rythme peut paraître lent et certaines références historiques demandent un minimum de connaissances, mais la profondeur émotionnelle et la rigueur de la réalisation font de ce film une expérience marquante. Ce n’est pas un spectacle facile à consommer, mais c’est un film qui reste longtemps en tête, offrant une vision sombre et réfléchie de ce que signifie disparaître pour protéger la vérité.
Note : 7.5/10. En bref, Un fantôme dans la bataille explore avec tension et sobriété le prix humain d’une vie sous couverture, offrant un portrait poignant d’identité effacée et de courage silencieux.
Sorti le 17 octobre 2025 directement sur Netflix
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