30 Septembre 2024
Je dois l’admettre, j’avais mal jugé la série Las Azules lors de mes premières impressions. Après avoir visionné les deux premiers épisodes, j'étais plutôt sceptique. La mise en scène me paraissait trop lisse, les personnages stéréotypés et l'intrigue, bien que prometteuse, semblait peine à décoller. Bref, j'étais prêt à classer cette mini-série mexicaine dans la catégorie des shows qui ne tiennent pas leurs promesses. Et pourtant, après avoir visionné l'ensemble des dix épisodes, je réalise à quel point Las Azules a su me surprendre, bouleverser mes attentes et offrir une critique brillante et subtile du patriarcat qui gangrène la société mexicaine des années 1970. Ce qui frappe dans Las Azules, c’est l’évolution remarquable du ton et de la narration au fil des épisodes. Alors que la série démarre sur un mode plutôt léger, quasi comique, avec l’introduction d’une unité féminine dans une police essentiellement machiste, elle évolue progressivement vers un thriller haletant tout en exposant sans fard les méandres du patriarcat mexicain.
L’intrigue principale repose sur une série de meurtres perpétrés par un tueur en série surnommé "Le Déshabilleur de Tlalpan", un surnom évocateur qui souligne l'horreur des crimes commis contre des femmes vulnérables. Mais au-delà de cette intrigue policière, Las Azules se distingue par son approche humaniste et engagée, en offrant une véritable introspection sur la place des femmes dans la société. À travers les quatre personnages principaux – María, Valentina, Ángeles et Gabina – la série explore des enjeux profondément ancrés dans la réalité sociale et culturelle de l’époque. Chaque femme incarne un aspect différent de la lutte féminine : María, mère de famille désillusionnée, cherche à échapper à la monotonie de son rôle de femme au foyer ; Valentina, sa sœur, est une militante féministe déterminée à défier les normes ; Ángeles, analyste d’empreintes digitales, est une intellectuelle introvertie cherchant à se faire respecter dans un milieu masculin ; et enfin Gabina, issue d’une famille de policiers, tente de trouver sa place dans un environnement qui la considère d’emblée comme inférieure.
L’un des points forts de Las Azules est sa capacité à montrer comment ces femmes, malgré leurs différences, unissent leurs forces pour affronter un monde profondément sexiste. L'arrivée de femmes dans la police n’est, au départ, qu’un coup de communication orchestré par les autorités pour détourner l’attention des échecs répétés à capturer le tueur en série. Leurs collègues masculins les méprisent, et leurs supérieurs les cantonnent à des rôles subalternes, soulignant ainsi la misogynie institutionnalisée qui gangrène non seulement la police, mais la société toute entière. Cette situation devient rapidement insupportable pour ces héroïnes, qui décident de prendre les choses en main. Ensemble, elles se lancent dans une enquête parallèle, bien déterminées à débusquer le tueur. C’est à travers cette collaboration que la série dévoile son vrai visage : celui d’une dénonciation subtile mais percutante du patriarcat et de la manière dont il écrase les ambitions des femmes.
Loin de céder aux clichés habituels des séries policières, Las Azules fait le choix de s’attarder sur la vie intérieure de ses personnages féminins, montrant leurs doutes, leurs peurs, mais aussi leur force et leur détermination face à l’injustice. Le traitement des personnages dans Las Azules est d’une profondeur remarquable. María, incarnée par Bárbara Mori, est sans doute le personnage le plus complexe. Tiraillée entre ses obligations familiales et son désir de s’émanciper d’une vie trop cadrée, elle incarne à merveille les dilemmes auxquels de nombreuses femmes sont confrontées. À travers son personnage, la série interroge les attentes sociales imposées aux femmes, et la culpabilité qu'elles ressentent souvent lorsqu’elles cherchent à s’en libérer. De l’autre côté, Ángeles, interprétée par Ximena Sariñana, est une figure tout aussi fascinante. Analysant les scènes de crime avec une minutie presque obsessive, elle se démarque par son intelligence, mais aussi par son incapacité à communiquer facilement avec les autres.
Son arc narratif, qui la voit progressivement s’affirmer face aux hommes qui cherchent à la réduire au silence, est l’un des plus réussis de la série. C’est un personnage qui démontre que l’intellect et la précision peuvent être des armes tout aussi puissantes que la force brute. L’un des aspects les plus frappants de Las Azules est sa critique acerbe du patriarcat et du machisme omniprésent. Le traitement réservé aux femmes dans la série est à la fois déplorable et révélateur d’une époque où elles étaient systématiquement sous-estimées, que ce soit dans le cadre familial ou professionnel. Le personnage du chef de la police, Emilio Escobedo, est particulièrement représentatif de cette mentalité. S'il recrute les femmes, ce n’est pas par conviction, mais bien pour servir ses propres intérêts et éviter de ternir davantage l’image de la police. Mais ce qui rend Las Azules particulièrement percutante, c’est sa capacité à exposer non seulement les mécanismes du patriarcat, mais aussi ses effets délétères sur la société dans son ensemble.
Le tueur en série, le "Déshabilleur de Tlalpan", incarne de manière métaphorique cette violence systémique envers les femmes, une violence qui, bien qu'extrême dans le cadre de la fiction, résonne avec la réalité des féminicides qui continuent de ravager le Mexique. Bien sûr, au-delà de la critique sociale, Las Azules est aussi une série policière efficace, qui sait jouer avec les codes du genre pour maintenir le spectateur en haleine. L’enquête sur le tueur en série est menée avec intelligence et réserve son lot de surprises. Le point culminant de l’histoire, notamment dans l’épisode 8, offre un retournement de situation inattendu en dévoilant des éléments clés du passé du tueur. Ce qui aurait pu être un simple thriller est ainsi enrichi par une dimension psychologique et sociologique, ce qui le rend d’autant plus fascinant. Ce mélange entre thriller, drame social et chronique féministe est l’une des grandes réussites de Las Azules. La série parvient à naviguer habilement entre ces tonalités sans jamais perdre de vue son objectif principal : offrir une réflexion profonde sur la place des femmes dans un monde dominé par les hommes.
Bien que certains épisodes soient plus efficaces que d’autres, l’ensemble est porté par une écriture intelligente et des performances d’acteurs remarquables. Chaque personnage a droit à son moment de briller, et les arcs narratifs sont développés avec soin, ce qui permet au spectateur de s’immerger pleinement dans cet univers à la fois fascinant et dérangeant. En définitive, Las Azules est bien plus qu’une simple série policière. C’est une œuvre qui, sous couvert de fiction, propose une réflexion incisive sur le machisme, la misogynie et les luttes féministes dans une société en pleine transformation. Si la série prend parfois des allures de telenovela, elle ne perd jamais de vue ses ambitions et parvient à offrir une expérience aussi divertissante que stimulante. Un véritable coup de maître, et une série que je recommande vivement.
Note : 7/10. En bref, une série plutôt réussie et surtout plus profonde qu’elle ne le laissait entendre au début.
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