Cimetière Indien (Saison 1, épisodes 1 et 2) : une série française entre polar et mémoire historique

Cimetière Indien (Saison 1, épisodes 1 et 2) : une série française entre polar et mémoire historique

Il y a des séries qui, dès les premières minutes, imposent une ambiance. Cimetière Indien, création originale diffusée sur CANAL+, fait partie de celles-là. Pas à cause d’un effet de manche, ni grâce à une avalanche de rebondissements. Non, ici, c’est autre chose : un choix de ton, une lenteur maîtrisée, un regard tendu mais patient sur un territoire et ses blessures. Deux épisodes suffisent pour comprendre que cette série ne cherche pas à flatter ni à séduire, mais à dire quelque chose. Quelque chose d'enfoui, de pesant. Quelque chose que beaucoup préféreraient sans doute ne pas regarder en face.

 

1995. Lidia, jeune recrue ambitieuse de l’anti-terrorisme, est envoyée à Peranne, pour enquêter sur le scalp d’un imam, aux côtés de Jean, gendarme désabusé, hanté par ses souvenirs de la guerre d’Algérie. 25 ans plus tard, l’ancien maire de Peranne est assassiné. Et alors que Lidia est au faîte d’une carrière en apparence irréprochable, Jean disparaît du jour au lendemain. Le passé que tous croyaient définitivement enterré refait surface…

Le récit démarre dans une petite ville fictive du sud-est de la France, Peranne. Une ville qui semble avoir été oubliée par les cartes postales, située quelque part entre les restes d’une France industrielle et les promesses jamais tenues d’un avenir meilleur. En 1995, un crime secoue la commune : l’imam de la mosquée est retrouvé sauvagement assassiné, scalpé dans son propre lieu de prière. L’enquête est confiée à Lidia Achour, jeune recrue des services de l’antiterrorisme, parachutée dans cet environnement tendu, et à Jean Benefro, gendarme taiseux, dont le passé militaire en Algérie colle encore à la peau.

 

Trente ans plus tard, un meurtre similaire ramène Lidia sur les lieux. Cette fois, la victime est le maire de la ville. Jean, son ancien partenaire, a disparu. Et tout semble indiquer qu’il pourrait être lié à ce nouveau crime. Un nouveau lieutenant, Adrien Caron, mène l’enquête du présent. Lui aussi se retrouve confronté à une ville qui ne parle qu’à demi-mots et à une vérité qui refuse de remonter à la surface. Ce qui frappe dès les premières images, c’est l’absence de précipitation. Pas de montage nerveux, pas de musique omniprésente, pas de flashs spectaculaires. Cimetière Indien prend son temps. 

Elle installe ses personnages, ses lieux, ses silences. Elle laisse la lumière s’imprégner des murs, la caméra s’attarder sur les visages. Il y a là un refus assumé du spectaculaire, au profit de quelque chose de plus intime. Un polar qui ne cherche pas à faire monter l’adrénaline, mais à faire descendre la tension, jusqu’aux racines du trouble. Les allers-retours entre 1995 et aujourd’hui ne servent pas simplement de ficelle narrative. Ils construisent un dialogue entre deux époques, deux générations, deux façons de regarder le réel. 

 

À travers les souvenirs, les blessures, les rapports de pouvoir figés ou dissimulés, la série explore les continuités entre un passé que l’on croit révolu et un présent qui en porte encore les marques visibles. Lidia Achour n’est pas une héroïne flamboyante. Elle ne cherche pas à s’imposer par la force ni à imposer une vérité à tout prix. Ce qui la guide, c’est un mélange de loyauté, de doute, et peut-être de culpabilité. En 1995, elle arrive à Peranne avec une forme de naïveté professionnelle, bien vite confrontée aux non-dits du terrain, aux pesanteurs politiques, aux tensions locales. 

En 2020, elle revient avec un passé derrière elle, des choix, des responsabilités, mais aussi une lucidité plus froide. Elle ne vient pas régler des comptes ; elle vient comprendre ce qui lui a échappé. Jean Benefro, quant à lui, est un personnage plus opaque. Dans les flashbacks, il porte son histoire sans l’expliquer. Son regard dit plus que ses mots. Ce qu’il a vécu pendant la guerre d’Algérie, ce qu’il a accepté de taire, ce qu’il a intériorisé, tout cela plane autour de lui sans jamais être dit franchement. Et dans le présent, son absence devient une énigme à part entière. 

 

Sa disparition n’est pas seulement celle d’un homme, c’est celle d’un témoin, d’un maillon dans une chaîne de responsabilités que la série commence à dérouler. L’étang de Berre, les zones industrielles abandonnées, les lotissements sans âme… Peranne n’est pas le sud que l’on montre dans les guides touristiques. Pas de calanques ensoleillées ici, pas de cigales ni de ruelles pittoresques. Ce qui domine, c’est une impression de vide. Un vide habité par les tensions sociales, les rancunes, les exclusions. Cette géographie participe pleinement au récit. Elle l’enracine dans une France marginale, souvent invisibilisée. 

Une France où les discours officiels ne résonnent plus, où les institutions sont perçues avec méfiance, où les traumatismes se transmettent à voix basse. En filmant ces lieux sans les juger, sans chercher à les transformer en symboles faciles, la série propose un autre regard sur le territoire. Ni misérabiliste ni exotique, simplement attentif. L’intrigue policière ne suit pas les chemins les plus balisés. Il n’est pas question ici de profiler un tueur, de décoder une machination, ou de mettre à nu une organisation criminelle. Les deux premiers épisodes installent une autre dynamique : celle du trouble, du doute, de l’écho entre deux crimes qui se répondent mais ne s’expliquent pas encore.

 

Les pistes sont multiples, mais aucune ne s’impose avec évidence. Chaque détail semble pouvoir prendre du sens… ou pas. C’est ce flou, ce refus d’avancer trop vite vers une vérité simpliste, qui donne au récit sa tension. Une tension sourde, pas spectaculaire, mais tenace. Chaque scène laisse en suspens quelque chose, comme si la série attendait de son spectateur qu’il écoute, qu’il observe, qu’il patiente. Même si le récit tourne autour de Lidia et Jean, les personnages secondaires ne sont pas en reste. Adrien Caron, nouveau venu dans la ville, apporte un regard extérieur, mais son rôle ne se limite pas à celui du flic de service. 

Sa confrontation avec Lidia installe une dynamique intéressante, faite de méfiance mais aussi de complémentarité involontaire. Ils avancent sans se faire confiance, mais sans pouvoir se passer l’un de l’autre. Karen, la petite-fille de Jean, entre en scène dans le deuxième épisode avec son propre lot de préoccupations. Ses doutes sur les activités de son ex-compagnon, Rudy, donnent un aperçu d’un autre versant de l’histoire, plus contemporain, plus ancré dans les réalités économiques et sociales d’aujourd’hui. 

 

Là encore, pas de pathos inutile : juste des trajectoires croisées, des tensions familiales, des choix ambigus. Même sans discours explicite, la série porte un sous-texte politique fort. Les fantômes de la guerre d’Algérie ne sont jamais loin. Ils se lisent dans les regards, dans certaines phrases étouffées, dans les silences des anciens. L’histoire coloniale n’est pas abordée frontalement dans ces deux premiers épisodes, mais elle s’infiltre partout. Comme un poison lent, comme une blessure mal refermée. De la même manière, la question du racisme, des discriminations, des fractures sociales, n’est pas traitée comme un sujet à illustrer, mais comme un contexte à comprendre. 

Il ne s’agit pas ici de cocher des cases, mais de montrer comment certaines tensions traversent les générations, comment elles se transforment, comment elles continuent d’agir. Tout dans Cimetière Indien semble conçu pour résister aux attentes faciles. Pas de rythme effréné, pas de dialogues explicatifs, pas de héros infaillibles. Ce choix peut déranger. Certains spectateurs pourraient rester sur leur faim, frustrés par un récit qui ne donne pas tout, qui ne s’explique pas immédiatement. Mais c’est justement ce qui fait la singularité de la série : elle laisse le mystère respirer.

 

Il ne s’agit pas de créer un suspense artificiel, mais de respecter la complexité de ce qui est en jeu. Les deux premiers épisodes laissent entrevoir un récit qui ne veut pas tout révéler d’un coup, mais qui prend au sérieux la profondeur des histoires qu’il raconte. Dès ses deux premiers épisodes, Cimetière Indien pose les bases d’un récit dense, discret, mais profondément ancré dans une réalité sociale et historique rarement représentée à l’écran avec autant de soin. Sans chercher à faire spectacle, la série avance par couches successives, par atmosphères, par frictions entre les personnages et leur passé.

Ce qui s’annonce, c’est une enquête autant sur des crimes que sur des silences. Une plongée dans une mémoire nationale fragmentée, à travers le prisme d’un territoire délaissé et de ses habitants. Un polar d’ambiance, de tensions sourdes, qui prend le parti de la lenteur, du regard attentif, de la complexité humaine. Pour peu qu’on accepte cette proposition singulière, Cimetière Indien offre une expérience qui interpelle, qui dérange parfois, mais qui ne laisse pas indifférent. Et si le reste de la saison tient cette ligne, il y a de quoi espérer une série qui marque plus par ce qu’elle murmure que par ce qu’elle crie.

 

Note : 7/10. En bref, Cimetière Indien offre une expérience qui interpelle, qui dérange parfois, mais qui ne laisse pas indifférent. Et si le reste de la saison tient cette ligne, il y a de quoi espérer une série qui marque plus par ce qu’elle murmure que par ce qu’elle crie.

Disponible sur myCanal

 

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