11 Avril 2025
Black Mirror // Saison 7. Episode 1. Common People.
La série Black Mirror a toujours su tendre un miroir noir à notre société, mais il arrive que certains épisodes ne renvoient pas seulement une image déformée du futur. Parfois, ce qu’ils reflètent, c’est simplement le présent, à peine amplifié. C’est exactement ce que fait "Common People", premier épisode de la saison 7. Il ne s’agit pas d’un épisode spectaculaire. Il ne mise pas sur l’esthétique, ni sur les effets. Il préfère s’installer dans un quotidien modeste, banal même, pour mieux démontrer à quel point le réel peut être glaçant.
Ce quotidien, c’est celui de Mike et Amanda, un couple américain sans histoire, représentatif de cette classe moyenne qui ne l’est plus vraiment. Lui travaille dans le bâtiment, elle enseigne à l’école publique. Ensemble, ils ne roulent pas sur l’or, mais ils s’en sortent. Ils ont des projets, des habitudes, une routine rassurante. Jusqu’à ce qu’un accident biologique vienne faire exploser cet équilibre fragile. L’intrigue démarre sur un malaise en salle de classe. Amanda s’écroule, foudroyée par une tumeur au cerveau. Le pronostic est sans appel. Rien ne permet de croire à un réveil.
Enfin, presque rien. Car une entreprise, Rivermind, propose à Mike une solution technologique d’un genre nouveau : la sauvegarde de la conscience d’Amanda dans une version synthétique de son cerveau. Un transfert numérique de l’esprit, maintenu actif par un réseau cellulaire propriétaire. La promesse est claire : Amanda pourrait revivre, du moins, sa conscience pourrait être relancée. À une condition : souscrire à un abonnement mensuel. L’opération en elle-même ne coûte rien, mais la continuité de la "connexion" dépend d’un forfait à 300 dollars par mois.
Le piège se referme dès cet instant, même si Mike, porté par l’amour et le désespoir, accepte sans réfléchir. Le concept pourrait paraître absurde si sa logique n’était pas aussi proche de celle que l’on subit déjà. Dans "Common People", vivre devient un service. Respirer, penser, se déplacer, aimer : tout est désormais conditionné par un abonnement. Et ce n’est pas une métaphore tirée par les cheveux. L’état d’Amanda dépend littéralement du bon fonctionnement du réseau. En dehors de la zone de couverture, elle s’éteint. Dès lors, tout devient instable.
Les interruptions de service, les mises à jour forcées, les suppressions de fonctionnalités sur les anciens modèles deviennent des menaces vitales. Ce n’est plus seulement une dépendance à la technologie, c’est une dépendance à une entreprise privée, sans visage, qui décide seule de ce qu’elle propose ou retire. Ce qui frappe ici, c’est l’aisance avec laquelle Rivermind fait évoluer ses conditions d’utilisation. L’abonnement de base, celui qui semblait raisonnable, devient vite obsolète. Il faut alors passer à Rivermind+, puis à Rivermind Lux.
À chaque palier, la promesse change, le prix augmente, et le service de base est volontairement dégradé. C’est une critique intéressante des services de streaming (mais pas que) si l’on veut faire un parallèle connu C’est d’ailleurs amusant de voir cet épisode sur Netflix qui n’a eu de cesse d’augmenter le prix de ses abonnements et a créé un abonnement avec publicité en prix de base, modifiant ses abonnements et leurs conditions au fil du temps comme bon lui semble. Le propos ne se limite pas à la technologie. L’épisode est avant tout une critique acide de la logique économique qui infiltre tous les aspects de la vie moderne. Il ne s’agit pas ici d’un simple délire de science-fiction.
Ce que raconte "Common People", c’est ce qui se passe déjà avec les assurances santé, les plateformes de streaming, les médicaments hors de prix, ou encore l’éducation privée. La vie devient un produit. Le bonheur, une option payante. La dignité, un luxe. Amanda se transforme peu à peu en outil marketing. Son cerveau, branché sur le réseau Rivermind, commence à insérer de la publicité dans ses conversations. Pas de manière absurde, non, mais subtilement, dans le ton et le contexte. Elle recommande des applications de rencontres, des thérapies familiales, des lubrifiants. Sa conscience devient un canal de diffusion.
Ce basculement n’est pas imposé frontalement. Il est le résultat d’une mise à jour automatique. Ni Amanda, ni Mike n’ont consenti à cela. Et c’est bien là l’un des aspects les plus dérangeants de l’épisode : la disparition progressive de tout libre arbitre. Face à l’accumulation des coûts, Mike fait ce que beaucoup feraient : il s’adapte. Il cumule les heures supplémentaires, multiplie les petits boulots, puis plonge dans un système parallèle de revenus humiliants : une plateforme nommée DumbDummies, où des internautes se filment en train de se ridiculiser pour de l’argent.
La violence n’est plus seulement économique, elle devient physique et morale. Mike boit des produits toxiques, s’inflige des douleurs, perd peu à peu sa dignité. Il agit par amour, ou peut-être par culpabilité, ou les deux. Ce qu’il traverse interroge directement la capacité de chacun à se compromettre pour maintenir en vie ceux qu’on aime. La série pousse cette logique jusqu’au bout. Loin de proposer une issue positive, elle enfonce ses personnages dans une spirale descendante. Chaque mise à jour de Rivermind les éloigne l’un de l’autre. Amanda dort de plus en plus.
Leurs moments de répit sont achetés à la minute, comme un temps de pause sous surveillance. Leur intimité devient un produit dérivé. L’ultime scène est aussi prévisible qu’insoutenable. Mike, incapable de continuer à financer l’existence artificielle de sa femme, décide d’y mettre un terme. Il achète trente minutes de Rivermind Lux, lui permet de ressentir un bonheur artificiel, puis l’étouffe doucement alors qu’elle continue de réciter des slogans publicitaires. Ce choix, loin d’être un simple acte de désespoir, est présenté comme un geste d’amour ultime, cruel et désespéré.
La suite est implicite. Mike s’enferme dans une autre pièce, armé d’un cutter. Le spectateur comprend sans qu’il soit nécessaire de montrer davantage. Ce qui rend "Common People" si perturbant, ce n’est pas la technologie en elle-même. Ce n’est pas le futur qu’il décrit. C’est le fait que presque tout ce qu’il montre existe déjà, sous une forme ou une autre. Le système de santé américain est souvent dénoncé pour son coût prohibitif. L’accès aux soins, aux médicaments, à une vie décente est conditionné par la capacité à payer.
Les plateformes numériques ont transformé les utilisateurs en produits. La publicité s’insère dans les conversations via les assistants vocaux, les réseaux sociaux, les algorithmes. Ce que propose l’épisode, c’est une synthèse de toutes ces logiques. Une extrapolation à peine exagérée. La question n’est pas de savoir si cela pourrait arriver, mais plutôt : combien de temps avant que cela arrive réellement ? "Common People" ne cherche pas à choquer. Il ne moralise pas. Il ne donne pas de leçon. Il montre, avec froideur, une trajectoire plausible. Celle d’un couple pris dans l’engrenage d’un système conçu pour ne jamais être payé en entier.
Un monde où l’on vend du réconfort temporaire, tout en rendant les alternatives impossibles. Il y a peu d’espoir dans cet épisode, mais il y a une vérité. La vérité d’une époque où la précarité s’installe jusque dans la vie privée. Où l’intimité devient monétisable. Où la technologie n’est plus un outil d’émancipation, mais un levier de contrôle. "Common People" n’est pas un épisode qui cherche à briller. Il ne propose pas de révélation, ni de retournement final. Il ne surprend pas. Il dérange. Il gratte là où ça fait mal. Il parle d’un monde où vivre coûte trop cher, où aimer coûte trop cher, où la mort devient parfois le dernier acte de résistance. Ce que cet épisode de Black Mirror raconte, ce n’est pas un futur. C’est un présent maquillé en fiction. Et c’est bien ce qui le rend inoubliable.
Note : 9/10. En bref, "Common People" n’est pas un épisode qui cherche à briller. Il ne propose pas de révélation, ni de retournement final. Il ne surprend pas. Il dérange. Il gratte là où ça fait mal. Il parle d’un monde où vivre coûte trop cher, où aimer coûte trop cher, où la mort devient parfois le dernier acte de résistance. C’est probablement l’épisode le plus « Black Mirror » depuis l’arrivée de la série sur Netflix.
Disponible sur Netflix
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