Critiques Séries : Black Mirror. Saison 7. Episode 2.

Critiques Séries : Black Mirror. Saison 7. Episode 2.

Black Mirror // Saison 7. Episode 2. Bête Noire.

 

Un visage familier débarque au bureau un lundi matin, et tout semble vaciller. Pas à cause d’un souvenir qui remonte. Pas vraiment. Mais parce que le réel lui-même commence à se tordre. L’épisode “Bête Noire” de la saison 7 de Black Mirror s’inscrit dans une veine que la série explore régulièrement : celle du glissement entre le quotidien banal et un chaos technologique insidieux. Mais ici, le fantastique prend son temps, masqué par la banalité d’un décor de bureau, avant d’éclater dans une conclusion beaucoup plus brutale et absurde que prévu. Tout commence avec un bonbon au miso. Oui, au miso.

 

Maria travaille dans la recherche et le développement d’un grand groupe agroalimentaire fictif du Royaume-Uni. Son rôle : créer la prochaine saveur à succès. Lorsqu’elle présente un prototype de confiserie associant le miso à un enrobage sucré, l’accueil est tiède. Jusqu’à ce qu’une voix surgisse au fond de la salle et renverse l’avis général. Verity. Une ancienne camarade de lycée que Maria n’avait pas revue depuis des années. Son arrivée soudaine, puis son embauche dans l’entreprise sans que personne ne consulte Maria, déclenchent une tension souterraine que les autres personnages ne perçoivent pas immédiatement.

 

Ce que les collègues prennent pour une rivalité féminine classique se révèle rapidement plus profond. L’histoire commune entre les deux femmes remonte à l’adolescence, période où Maria faisait partie d’un groupe d’amies populaires. Verity, quant à elle, avait été la cible de rumeurs humiliantes lancées dans l’ombre du laboratoire informatique. Une époque révolue ? Pas pour tout le monde. La série ne précipite pas les événements. L’intrigue prend le temps de construire une ambiance étrange, presque sournoise. 

 

Tout commence à basculer quand Maria constate que certaines choses changent autour d’elle : le nom d’un restaurant, un e-mail envoyé mais qui semble avoir été modifié, des souvenirs partagés que plus personne ne reconnaît. L’évocation du Mandela Effect s’impose alors presque naturellement. Cette impression collective d’avoir vécu une réalité différente – un nom mal orthographié, une citation modifiée, un souvenir partagé qui se révèle inexistant. Mais ici, ce n’est pas qu’un bug cognitif : c’est une arme.

 

Verity a développé un appareil capable de manipuler la réalité. Pas de façon symbolique, mais littéralement. Les objets changent. Les souvenirs aussi. Et très vite, Maria se retrouve isolée, présentée comme instable, voire dangereuse. Le réel devient un piège, et chaque tentative de Maria pour se raccrocher à une version cohérente de son monde se retourne contre elle. La particularité de cet épisode tient à la manière dont il joue avec la subjectivité. Maria, personnage principal, commence comme une figure un peu rigide, obsessionnelle sur les détails, parfois arrogante. 

 

Mais cette rigidité devient sa perte lorsque le monde autour d’elle cesse d’obéir aux règles qu’elle connaît. Chaque élément transformé – un document, une vidéo de surveillance, un souvenir partagé – devient une attaque invisible, mais dévastatrice. La question de la fiabilité du réel devient alors centrale. Comment tenir debout quand tout peut être altéré ? La technologie n’est ici qu’un catalyseur. C’est l’intention derrière qui en fait un outil de torture ou de libération. Verity ne cherche pas à changer le monde : elle cherche à corriger un tort, selon ses propres critères.

 

Mais ce n’est pas tant la vengeance qui frappe ici que le vertige de la toute-puissance. L’idée qu’un traumatisme ancien, mal digéré, puisse se transformer en autorité absolue sur le réel interroge directement la nature de la mémoire. À quoi bon maîtriser le monde entier si le passé reste une plaie ouverte ? La confrontation entre Maria et Verity atteint son apogée dans les dernières minutes. Ce qui semblait être une guerre psychologique larvée devient une lutte physique, désespérée. Un vol, une fuite, une tentative de reprendre le contrôle. Mais l’issue ne se limite pas à la survie. Maria, contre toute attente, prend la place de Verity. 

 

En tuant celle qui manipulait la réalité, elle hérite de son pouvoir. Et plutôt que de revenir à une version neutre du monde, elle choisit de l’utiliser à son tour. Pas pour réparer. Pas pour fuir. Mais pour prendre la première place. De façon spectaculaire. Le choix final de Maria – s’autoproclamer Reine de l’univers – n’est pas présenté comme une dérive morale claire. Le récit laisse planer l’ambiguïté : est-ce une revanche légitime ou une corruption insidieuse ? L’épisode évite de trancher. Il présente un monde où la maîtrise du réel ne mène pas à la sagesse, mais à une nouvelle forme de solitude.

 

En évitant les démonstrations technologiques trop appuyées, “Bête Noire” parle d’un malaise bien contemporain. L’idée que la vérité puisse être floue, malléable, manipulable. Dans un monde où les intelligences artificielles réécrivent les faits, où les contenus falsifiés circulent plus vite que les vérités vérifiables, la frontière entre le réel et la fiction devient un terrain de jeu dangereux. Verity modifie les souvenirs, les preuves, les traces. Elle ne se contente pas de mentir : elle transforme la réalité pour qu’elle corresponde à son récit. 

 

Une métaphore directe de la manière dont la désinformation peut opérer aujourd’hui. Pas en criant plus fort, mais en effaçant les repères. Maria, quant à elle, montre comment même les victimes peuvent devenir des bourreaux si le pouvoir est trop grand, trop tentant. Son ascension finale ne ressemble pas à une libération, mais à une nouvelle version du piège. Un autre aspect intéressant réside dans les dynamiques sociales en jeu. Maria est une femme noire, Verity une femme blanche. Cette configuration n’est pas anodine. Elle joue dans les regards, les soupçons, les prises de parole au sein de l’entreprise. 

 

Quand Maria commence à alerter sur les incohérences, elle n’est pas prise au sérieux. Son entourage professionnel – majoritairement masculin – la perçoit comme émotive, voire paranoïaque. Verity, en revanche, gagne la confiance par son calme apparent et son aisance technique. Cette asymétrie souligne un biais encore bien présent dans le monde du travail. L’épisode ne l’expose pas de façon frontale, mais la tension est là, constante, en arrière-plan. Elle participe à l’isolement progressif de Maria, qui voit son autorité s’effriter à mesure que sa parole est discréditée.

 

Ce que l’épisode montre, c’est que la technologie la plus avancée ne fait que révéler les failles humaines. Verity ne veut pas conquérir le monde : elle veut réparer une blessure d’enfance. Maria ne veut pas sauver le monde : elle veut être reconnue, rester en contrôle. Chaque action est dictée par une émotion, une mémoire, un sentiment de perte. Le récit évite les grandes envolées apocalyptiques pour se concentrer sur des enjeux intimes, presque dérisoires à première vue. Mais ce sont précisément ces blessures-là qui, lorsqu’elles s’emparent de technologies aussi puissantes, deviennent explosives.

 

“Bête Noire” propose une histoire à double fond. Ce n’est ni un simple thriller, ni une fable morale évidente. Il montre à quel point le contrôle du récit est devenu un enjeu crucial. La possibilité de modifier la réalité, qu’elle soit technologique ou narrative, pose une question vertigineuse : que reste-t-il lorsqu’il n’y a plus de vérité commune ? Ce n’est pas la machine qui pose problème, mais ce qu’elle permet de faire. Et surtout, ce qu’elle empêche de réparer. Les cicatrices mal refermées du passé trouvent dans cette technologie un prolongement dévastateur. La boucle se referme sur un paradoxe amer : la quête de réparation engendre un chaos encore plus grand. Et le fantasme de toute-puissance, même dans les mains d’une victime, finit par corrompre l’intention initiale.

 

Note : 5.5/10. En bref, “Bête Noire” propose une histoire à double fond. Ce n’est ni un simple thriller, ni une fable morale évidente. Il montre à quel point le contrôle du récit est devenu un enjeu crucial. Dommage que cette bonne idée de départ prenne autant de temps à éclore réellement. 

Disponible sur Netflix

 

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delromainzika

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M
Il est dommage de noter si durement cet épisode après l'avoir si bien expliqué. La fracture émotionnelle qu'à subi verity et qui l'a poussée à se venger de ses anciens bourreaux grâce à une technologie extraordinairement dévastatrice inventée par ses soins n'est à mon avis pas le plus important.<br /> <br /> C'est un élément déterminant le sens du scénario, qu'on réduirait à de la rancune que chacun durant son adolescence a vécu et qui, il est vrai persiste comme un traumatisme chez certains adultes qui pour ces derniers n'ont pas su y faire face et sont restés bloqués sur des faits passés, ce qui finalement témoigne d'unr immaturité et d'un ressentiment atteignant son paroxysme, en somme les caractéristiques d'un adolescent...<br /> <br /> Le sujet le plus intéressant abordé par cet épisode c'est littéralement la modification du réel, le fait de pouvoir changer celui-ci à tout bout champ et donc de l'effacer. Ce qui chamboulerait n'importe qui. Nos connaissances et notre vécu sont basés sur des faits réels et établis auxquels nous nous accrochons et sont donc une base émotionnel pour nous car rattachés à des souvenirs et de ce fait à des actions, événements accomplis, réussite ou bien échec, en gros nous définissent. Alors si nous les perdons que devenons nous ? <br /> <br /> En espérant avoir été clair <br /> Cordialement
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D
Ce que j'ai trouvé dommage avec cet épisode c'est qu'il met vraiment du temps à en venir à ce qu'il veut nous montrer, perdant du coup dans son premier tiers un peu de son souffle pour réellement le prendre dans le dernier tiers. D'où la note. Cette note n'est pas fataliste non plus, car j'ai aimé ce que l'épisode a proposé aussi :) <br /> Et oui, j'ai très bien compris ce que vous vouliez dire :) C'est effectivement plus qu'un thriller de vengeance (qui n'est que la première couche de l'histoire).