Critiques Séries : Black Mirror. Saison 7. Episode 5.

Critiques Séries : Black Mirror. Saison 7. Episode 5.

Black Mirror // Saison 7. Episode 5. Eulogy.

 

La technologie n’est pas toujours spectaculaire. Elle n’a pas besoin de briller pour bousculer. Parfois, elle s’efface pour mieux révéler ce qui compte vraiment. L’épisode « Eulogy », cinquième volet de la saison 7 de Black Mirror, en est un bon exemple. Pas de dystopie éclatante ou de scénario catastrophe ici. Seulement un homme, son passé, et une interface numérique qui le pousse à faire ce qu’il a toujours évité : se souvenir. Phillip Conarthy vit seul dans une maison familiale située sur la côte Est des États-Unis. Le silence qui y règne semble avoir été choisi, presque recherché. 

 

Il y a chez ce personnage une forme de retrait du monde, une volonté de garder à distance ce qui pourrait faire mal. Le déclencheur de l’histoire est simple : il reçoit un appel lui annonçant la mort de Carol, une femme qu’il a connue intimement il y a longtemps. Mais au lieu d’assister à ses obsèques, Phillip est invité à utiliser une technologie développée par une entreprise appelée “Eulogy”. L’idée ? Replonger dans ses souvenirs pour produire une séquence commémorative destinée à être projetée lors de la cérémonie. On ne parle pas ici d’un simple montage photo. 

La technologie permet de s’immerger dans des scènes passées, comme si elles étaient reconstituées en trois dimensions. Ce dispositif, malgré son aspect futuriste, n’a rien d’envahissant. Il n’est ni dangereux, ni spectaculaire. C’est justement cette banalité apparente qui crée une forme d’intimité. Il devient un miroir, un révélateur de zones d’ombre. Phillip n’est pas seul dans ce processus. Une guide virtuelle l’accompagne. Son visage n’est pas anodin : il s’agit d’une reproduction numérique de la fille de Carol, Kelly. C’est elle qui a été choisie pour filtrer et valider les souvenirs utilisés pour rendre hommage à sa mère. 

 

Le choix est pertinent. Il donne à la guide une présence qui dépasse l’aspect purement fonctionnel. Elle devient presque une interlocutrice, un témoin, parfois même une conscience. Ce qui frappe, c’est le contraste entre l’avancée technologique du système et les souvenirs déformés, incomplets, parfois détruits volontairement. Phillip a abîmé ou découpé les photos de Carol. Il a voulu effacer les traces, comme pour s’épargner. Mais le manque persiste. Le temps n’efface pas ce qui n’a pas été digéré. Il le rend juste plus flou. Le récit que dévoilent les souvenirs de Phillip n’est pas celui d’un grand amour tragique. 

C’est plutôt celui d’une relation entravée par les failles humaines. Phillip et Carol se sont rencontrés dans un collectif artistique dans les années 90, un espace de vie partagé par des musiciens et des rêveurs. Une époque où tout semblait encore possible. Ils ont tenté de construire quelque chose ensemble, mais les tensions, les malentendus et les égoïsmes se sont immiscés dans l’histoire. Phillip n’a pas toujours su écouter. Il pensait offrir un avenir à Carol dans un groupe de rock, sans voir qu’elle préférait jouer du violoncelle. Il a mal interprété des regards, projeté ses propres insécurités, jusqu’à créer un mur entre eux.

 

Il y a eu des infidélités, des silences, des décisions prises trop vite. Et puis un dîner à Londres, une demande en mariage précipitée, et une lettre qu’il n’a jamais lue… jusqu’à aujourd’hui. Ce n’est qu’en replongeant dans cette époque qu’il comprend ce qu’il a raté. Non pas une femme idéale, mais une possibilité d’être autre chose. De vivre autrement. Carol n’apparaît jamais vraiment dans l’épisode. Et pourtant, elle est partout. Dans les photos déchirées, dans les souvenirs flous, dans les silences de Phillip. C’est une absence très concrète. Une absence qui pèse, qui structure le récit. Cette façon de raconter sans montrer rend la douleur plus réelle.

L’épisode propose une exploration fine du processus de deuil. Pas celui d’un décès récent, mais celui d’un amour perdu, d’une version de soi qu’on a laissé derrière. Le recours à la technologie n’est pas un gadget ici. Il sert de cadre à un parcours introspectif. Il pousse le personnage à se confronter à ce qu’il a fui pendant des années. Ce qui distingue cet épisode, c’est son refus d’éblouir. La mise en scène reste sobre. La technologie est là, mais elle n’impose rien. Elle accompagne. Elle facilite le retour sur soi. Ce n’est pas un épisode spectaculaire, mais il touche parce qu’il laisse de l’espace. L’espace pour réfléchir, pour ressentir, pour interpréter.

 

Le jeu des acteurs participe beaucoup à cette retenue. Paul Giamatti incarne un homme blessé sans jamais en faire trop. Il laisse transparaître la fatigue, le regret, le désir maladroit de réparer quelque chose. La guide, interprétée par Patsy Ferran, réussit à maintenir une distance polie tout en laissant filtrer une forme d’humanité. Ce qui ressort de cette immersion dans le passé, c’est l’idée que les souvenirs ne suffisent pas à raconter une histoire. Ils sont partiels, filtrés, parfois falsifiés. Ils disent autant sur celui qui s’en souvient que sur les faits eux-mêmes. Phillip pensait avoir été trahi. Il découvre qu’il a été injuste. Il croyait avoir été clair, il se rend compte qu’il a fui le dialogue.

La révélation finale – une lettre retrouvée par hasard – agit comme un électrochoc. Elle contient une autre version des faits, une possibilité qu’il n’avait jamais envisagée. Ce n’est pas un twist de scénario, mais une clé. Une ouverture vers une compréhension plus large de ce qu’il a vécu. L’un des points forts de l’épisode réside dans sa capacité à évoquer les regrets sans chercher à réécrire l’histoire. Phillip ne remonte pas le temps. Il ne peut rien changer. Mais il peut, avec l’aide de la guide, offrir à Carol un dernier geste. Il retrouve une partition qu’elle avait composée. Il permet à sa fille de la jouer lors de la cérémonie. 

 

Ce n’est pas un acte spectaculaire. C’est un geste simple, mais porteur de sens. Il ne s’agit pas de rédemption, encore moins de pardon. Juste d’une prise de conscience. D’un moment de lucidité sur ce qui aurait pu être, et sur ce qui reste possible. La technologie, ici, n’a pas servi à corriger le passé. Elle a permis de le regarder en face. Ce qui frappe avec « Eulogy », c’est son ton. Pas de satire sociale appuyée, pas de mise en garde grandiloquente contre les dérives technologiques. L’épisode choisit un autre chemin. Plus intime. Moins cynique. Et c’est sans doute ce qui lui donne cette force tranquille.

 

Note : 9/10. En bref, il ne s’agit pas de dire que « Eulogy » est l’épisode le plus marquant de Black Mirror. Chacun aura son préféré. Mais dans une série souvent marquée par l’angoisse et le vertige, cette plongée introspective offre une respiration. Une manière de dire que la technologie peut aussi être un outil d’exploration personnelle. Pas toujours un piège, parfois un révélateur.

Disponible sur Netflix

 

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