13 Avril 2025
Black Mirror // Saison 7. Episode 6. USS Callister: Into Infinity.
SEASON FINALE
Il y a quelque chose d’étrangement familier dans le fait de revenir sur un épisode de Black Mirror plus de sept ans après sa diffusion initiale. Non pas un sentiment de nostalgie confortable, mais une sorte de curiosité teintée d’appréhension. « USS Callister: Into Infinity » relance une histoire qu’on croyait close, et le choix même d’en faire une suite directe mérite qu’on s’y attarde. Car si Black Mirror a toujours été une anthologie, cet épisode s’éloigne de cette logique pour prolonger le destin d’un équipage qu’on n’avait pas totalement oublié. Il est rare qu’un épisode de cette série tienne autant à ses personnages.
À tel point que leur retour ne semble pas forcé. Nanette Cole, devenue capitaine presque malgré elle, se retrouve à la tête d’un groupe de clones numériques arrachés à l’univers toxique de Robert Daly, ce programmeur frustré qui jouait au dieu dans un jeu multijoueur. Leur victoire initiale les avait libérés du joug d’un tyran, mais pas du monde qui l’avait permis. Cette suite ne réécrit pas les règles, elle les pousse un peu plus loin. La liberté obtenue n’est que partielle, presque illusoire. Dans un univers en ligne peuplé de millions de joueurs, ces entités sans véritable identité légale, désignées comme No_Tag_Error, doivent maintenant survivre comme elles peuvent.
L’univers du jeu Infinity n’est pas un refuge, c’est un système en constante mutation, de plus en plus monétisé, où la violence se confond avec les mécaniques de progression. Ce qui frappe dès les premières minutes, c’est la manière dont l’épisode refuse de céder à la facilité. Revenir sur les mêmes personnages aurait pu servir de prétexte à un enchaînement de clins d’œil, mais ce n’est pas le cas. Ce qui intéresse ici, c’est l’épaisseur nouvelle que la suite offre à ces figures virtuelles. Leur humanité est plus palpable que jamais, paradoxalement parce qu’ils ont maintenant quelque chose à perdre.
Le concept de permadeath, autrement dit la mort définitive, les rend vulnérables et donc plus proches. Ce glissement vers une forme d’humanité rend leur quête plus lisible. Ils ne cherchent plus à s’échapper, mais à exister dans un monde qui refuse de leur reconnaître ce droit. En cela, l’épisode devient presque politique, sans en avoir l’air. Il interroge ce qui fait l’individu dans un monde où la technologie peut dupliquer l’esprit, mais pas lui accorder de reconnaissance. Le parallèle entre les enjeux numériques et ceux du monde réel est l’un des aspects les plus intéressants de cet épisode.
Car pendant que Nanette et son équipage s’efforcent de trouver un lieu où exister, les créateurs du jeu, eux, commencent à sentir que quelque chose leur échappe. La présence de clones sans balises dans leur monde pose problème, d’autant plus lorsque la presse commence à s’en mêler. Le personnage de James Walton, que l’on pensait disparu, refait surface sous une forme inattendue. L’utilisation de son double numérique, conservé à des fins de développement du jeu, ajoute une couche supplémentaire à la réflexion sur le pouvoir, le consentement et la pérennité des données personnelles.
La frontière entre exploitation et collaboration est ténue, et cet épisode en joue constamment. La série a souvent été accusée de sacrifier la profondeur émotionnelle au profit de la démonstration technologique. Ici, c’est l’inverse. Le conflit est d’abord personnel, avant d’être structurel. Nanette n’est pas une héroïne invincible. Elle doute, elle fait des choix parfois discutables, mais elle avance. Son évolution donne du poids à l’histoire. La relation ambivalente qu’elle entretient avec la mémoire numérique de Daly est particulièrement marquante. On ne sait jamais si elle agit par peur, par pitié, ou par stratégie.
Cette incertitude donne lieu à des moments de tension inattendus, notamment dans les scènes finales qui se déroulent dans un espace aussi banal qu’inquiétant : un garage. Ce décor n’est pas choisi au hasard. Il évoque ces débuts glorifiés de la tech, ces mythes de fondateurs partis de rien pour révolutionner le monde. Mais ici, ce garage n’abrite ni génie ni progrès. Il est le théâtre d’un pouvoir détourné, utilisé à des fins de domination. Ce contraste entre l’apparence et la fonction donne un écho troublant à certaines figures bien réelles de la Silicon Valley. Visuellement, l’épisode s’éloigne du pastiche assumé du premier USS Callister, qui imitait sans détour l’esthétique de Star Trek.
Ici, l’univers du jeu semble plus proche d’un monde ouvert à la No Man’s Sky, avec ses paysages générés de manière procédurale et ses combats aériens. Ce choix participe à l’ambiance générale : moins nostalgique, plus instable. La réalisation mise sur la clarté plutôt que sur le choc visuel. Cela permet de garder l’attention sur les interactions entre personnages, sans pour autant renier l’aspect science-fiction du récit. Les séquences d’action, quand elles surviennent, sont là pour servir le propos, pas pour faire oublier un scénario trop léger. Il est tentant de qualifier cet épisode de film tant il s’éloigne du format habituel. Sa durée, ses enjeux narratifs, la richesse de ses personnages : tout semble conçu pour justifier cette ambition.
Pourtant, ce n’est pas dans l’ampleur que réside sa force, mais dans sa capacité à raconter quelque chose de simple : la quête d’une place, même artificielle, dans un monde qui rejette l’altérité. Cette suite n’essaie pas de reproduire l’impact du premier épisode. Elle en propose une lecture différente, plus intériorisée. Ce n’est plus la cruauté d’un homme qui est au centre, mais les conséquences durables de son comportement. En cela, l’épisode agit presque comme un post-scriptum nécessaire, une manière de rappeler que les mondes numériques ne sont jamais neutres. L’absence de message politique explicite peut surprendre.
Le premier « USS Callister » s’inscrivait clairement dans le contexte du mouvement #MeToo, en dénonçant la manière dont certains hommes utilisent leur pouvoir pour contrôler leur environnement. Ici, l’angle est différent. Le propos est moins frontal, mais il n’est pas moins pertinent. Ce que l’épisode suggère, c’est que le problème ne disparaît pas avec la chute d’un individu. Il persiste dans les structures, dans les souvenirs, dans les codes qu’il a laissés derrière lui. L’idée qu’un double numérique puisse continuer à influencer un monde, même après la mort de son créateur, donne à réfléchir sur la trace que la technologie permet de laisser, parfois malgré soi.
Ce qui est agréable dans cet épisode, c’est sa manière d’éviter les facilités. Il aurait été simple de multiplier les références, de jouer la carte du clin d’œil appuyé pour flatter les fans de la première heure. Au lieu de cela, l’histoire suit son propre rythme, avec ses propres enjeux. Le passé est là, en filigrane, mais il ne prend jamais le dessus. Le choix d’offrir une fin ouverte, sans promesse d’une nouvelle suite, va dans le même sens. Il y a une forme de respect dans le fait de ne pas tout clore, de laisser des questions en suspens. Cela permet au spectateur de réfléchir, de se projeter, plutôt que de consommer passivement une résolution toute faite.
Ce nouvel épisode de Black Mirror ne cherche pas à surprendre à tout prix. Il propose une histoire cohérente, portée par des personnages bien construits, dans un univers connu mais enrichi. Il ne cherche pas à plaire à tout le monde, mais il reste fidèle à ce que la série a toujours su faire : interroger notre rapport à la technologie en racontant des histoires humaines. Il ne révolutionne pas la série, mais il en prolonge le souffle d’une manière pertinente. Il permet de retrouver des personnages qu’on avait appris à connaître, sans tomber dans la nostalgie stérile. C’est un prolongement plus qu’un reboot, une variation plus qu’un hommage.
Note : 7/10. En bref, ce nouvel épisode de Black Mirror ne cherche pas à surprendre à tout prix. Il propose une histoire cohérente, portée par des personnages bien construits, dans un univers connu mais enrichi. Il ne cherche pas à plaire à tout le monde, mais il reste fidèle à ce que la série a toujours su faire : interroger notre rapport à la technologie en racontant des histoires humaines.
Disponible sur Netflix
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