Critique Ciné : Moi, Capitaine (2024)

Critique Ciné : Moi, Capitaine (2024)

Moi, Capitaine // De Matteo Garrone. Avec Seydou Sarr, Moustapha Fall et Issaka Sawadogo.

 

Le film Moi, Capitaine de Matteo Garrone propose une vision singulière et puissante du périple migratoire, abordant un sujet brûlant avec un regard d’une rare justesse. Contrairement à de nombreuses œuvres qui se concentrent sur l’arrivée des migrants en Europe, Garrone choisit de remonter à la source, là où tout commence : dans un village sénégalais, au cœur des rêves et des espoirs de jeunes prêts à tout pour une vie meilleure. Ce choix narratif, à la fois audacieux et nécessaire, permet de plonger au cœur de l’expérience migratoire, bien avant que ne s’impose l’image familière des embarcations surchargées en Méditerranée.

 

Seydou et Moussa, deux jeunes sénégalais de 16 ans, décident de quitter leur terre natale pour rejoindre l’Europe. Mais sur leur chemin les rêves et les espoirs d’une vie meilleure sont très vite anéantis par les dangers de ce périple. Leur seule arme dans cette odyssée restera leur humanité.

 

Ce qui frappe d’emblée dans Moi, Capitaine, c’est la volonté de raconter une histoire profondément humaine. À travers les yeux de Seydou, un jeune Sénégalais à la fois naïf et audacieux, Garrone explore les prémices de l’exil. Le film ne cherche ni à dramatiser à outrance ni à jouer sur une émotion facile. Au contraire, il déploie une narration épurée et linéaire, où chaque scène semble indispensable pour comprendre non seulement les défis physiques mais aussi les tourments psychologiques de son héros. Le voyage de Seydou est une véritable épopée initiatique, où chaque étape du périple dévoile une nouvelle facette de la réalité migratoire. 

 

Des premiers pas dans le désert du Sahara aux embûches administratives et humaines, Garrone montre avec sobriété les mécanismes d’un système qui exploite la vulnérabilité des migrants. Ce réalisme parfois brutal s'accompagne pourtant d’un sens du romanesque, offrant un équilibre subtil entre témoignage cru et puissance narrative. Le film met en lumière des aspects du périple souvent méconnus par le public européen. Si l’image des bateaux surchargés en Méditerranée est devenue un symbole de la crise migratoire, Moi, Capitaine rappelle que l’enfer commence bien avant. La peur du départ, la honte de quitter son village sans un au revoir, les réseaux de trafic humain transformant les migrants en marchandises, tout cela constitue la trame invisible mais omniprésente du voyage.

 

Le désert du Sahara devient un personnage à part entière, à la fois décor et protagoniste menaçant. Les migrants y affrontent non seulement la chaleur implacable et l’épuisement, mais aussi l’exploitation, les violences et les abus perpétrés par les passeurs. Le réalisateur s’attarde sur ces étapes, souvent occultées dans les récits traditionnels, pour mieux en révéler l’ampleur et l’intensité. Le spectateur, immergé dans cette traversée infernale, ressent presque physiquement le poids des kilomètres, la soif, la peur et l’espoir ténu qui maintiennent les protagonistes en mouvement. Malgré la dureté du sujet, Garrone réussit à insuffler des moments d’humanité et de fraternité. 

 

Dans un monde où tout semble corrompu par l’exploitation et la violence, de petites lueurs d’espoir apparaissent, incarnées par des gestes de solidarité inattendus. Ces instants, bien que rares, rappellent que même dans les pires conditions, l’humanité peut subsister. Ils évitent au film de sombrer dans un pessimisme absolu, tout en soulignant l’ampleur des défis auxquels les migrants sont confrontés. L’ultime étape, celle de la traversée de la Méditerranée, est abordée avec une retenue remarquable. Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, elle n’occupe qu’une petite partie du récit. Cette décision narrative souligne l’idée que l’histoire ne se résume pas à l’arrivée en Europe. 

 

Le voyage, avec toutes ses épreuves et transformations, est lui-même le cœur de l’expérience migratoire. Le choix de Matteo Garrone de s’inspirer de faits réels donne au film une authenticité saisissante. Sans chercher à moraliser ou à politiser son propos, il se concentre sur l’humain, sur les rêves et les désillusions qui animent ceux qui entreprennent ce voyage. Le film ne propose pas de solutions ni de réponses aux questions complexes soulevées par la crise migratoire. Il se contente de montrer, avec une honnêteté désarmante, ce que vivent les migrants, laissant au spectateur le soin de réfléchir et de tirer ses propres conclusions.

 

Cette approche, presque journalistique dans sa précision, est contrebalancée par une mise en scène sobre mais efficace. Les images, parfois dures, ne cherchent jamais à choquer gratuitement. Elles servent toujours le récit, renforçant l’impression que chaque détail, chaque moment a sa place et son importance. Moi, Capitaine dépasse le simple témoignage pour devenir une réflexion universelle sur le courage, l’espoir et la résilience. Si le film parle avant tout des migrants africains, il résonne bien au-delà, rappelant que le désir d’une vie meilleure est une aspiration partagée par tous les peuples, à travers toutes les époques.

En tant que spectateur, j’ai été profondément touché par cette œuvre. Elle m’a permis de mieux comprendre les réalités d’un phénomène souvent réduit à des chiffres ou à des images-chocs dans les médias. 

 

Mais surtout, elle m’a rappelé que derrière chaque chiffre se cache une histoire, un visage, un rêve. C’est en cela que le film de Garrone est si précieux : il redonne leur humanité à ceux que l’on réduit trop souvent à des statistiques. Avec Moi, Capitaine, Matteo Garrone signe une œuvre d’une rare intensité, à la fois poignante et lucide. Ce n’est pas un film militant, et pourtant, il interpelle profondément. Ce n’est pas un drame, mais il bouleverse. Ce n’est pas un documentaire, mais il éclaire. En cela, il accomplit quelque chose de rare : il reste en tête, bien après que les lumières de la salle se soient rallumées.

 

Pour ceux qui s’intéressent aux questions migratoires ou simplement à des récits humains puissants, ce film est une expérience incontournable. Il ne se contente pas de raconter une histoire ; il invite à voir le monde à travers les yeux de ceux qui, par nécessité ou par espoir, choisissent de tout risquer pour un avenir incertain. Un grand film, à voir et à méditer.

 

Note : 8/10. En bref, une épopée humaine entre rêve et désillusion.

Sorti le 3 janvier 2024 au cinéma - Disponible en VOD et sur myCanal

 

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