7 Avril 2025
J’ai terminé les six épisodes de Kaboul, cette mini-série européenne diffusée sur France Télévisions en 2025. Je l’ai regardée avec curiosité, intérêt, et parfois, avec agacement. Curiosité pour le sujet : le chaos de l’évacuation d’Afghanistan à l’été 2021. Intérêt pour les destins croisés, le réalisme des situations. Et agacement pour ces concessions un peu absurdes faites au nom de l’international. Kaboul met en scène, en format court, une des tragédies les plus récentes de notre époque : la chute éclair de Kaboul et le retour des talibans, alors que les troupes étrangères levaient le camp.
Le dispositif est choral. Plusieurs récits se croisent : une famille afghane, des diplomates européens, des expatriés à l’aéroport, des soldats, des espions… Tout cela dans un contexte de panique, d’urgence, de tension constante. L’ambition est là. Mais comme souvent, la mise en œuvre trahit un peu l’intention initiale. Visuellement, rien à dire. Les décors sont solides. La série a été tournée en Grèce, comme beaucoup de productions récentes qui cherchent à recréer un environnement désertique sans quitter l’Europe. Le résultat est convaincant : rues poussiéreuses, habitations modestes, périphéries tendues, tout fonctionne. On y croit.
La mise en scène épouse assez bien l’urgence des événements. La caméra reste souvent mobile, nerveuse, sans verser dans le spectaculaire gratuit. On sent que la priorité est donnée à la tension, pas à la pyrotechnie. Même les scènes d’action restent sobres. Ce n’est pas une série de guerre. C’est un récit de survie. Ce qui m’a frappé, c’est la capacité à rendre palpable l’attente. La peur ne vient pas des balles, mais des délais. Chaque minute qui passe devient une menace. L’aéroport ferme, les listes changent, les contacts disparaissent. On comprend très vite que, dans cette situation, le vrai danger, c’est l’imprévisible.
Kaboul ne raconte pas l’histoire d’un seul héros. Elle suit plusieurs trajectoires. Il y a la famille Nazany, au centre de la série : la mère est procureure, la fille médecin. Leur position dans la société afghane les rend immédiatement vulnérables au retour des talibans. Leur tentative de fuite croise celle de plusieurs diplomates : un Français, un Italien, une journaliste allemande, un agent de la CIA. Il faut le reconnaître, cette multiplicité donne une certaine richesse au récit. Elle permet de varier les points de vue, de montrer les rapports de force, les dilemmes. Mais elle a aussi ses limites. À force de tout vouloir couvrir, certains arcs narratifs restent en surface.
J’ai eu parfois l’impression de survoler les histoires, là où j’aurais voulu creuser. Certaines intrigues sont clairement plus réussies que d’autres. Celles centrées sur les civils afghans, notamment, m’ont paru les plus fortes. Parce qu’elles touchent à l’essentiel : fuir son pays, abandonner ses proches, tout quitter sans assurance de recommencer ailleurs. Il y a une scène, notamment, où les femmes et les hommes d’un hôpital sont séparés par un mur de briques dressé à la hâte. Elle m’est restée en tête longtemps après l’épisode. C’est peut-être le point qui m’a le plus sorti de l’immersion : l’usage systématique de l’anglais entre personnages non anglophones.
Je veux bien comprendre les impératifs d’une coproduction européenne. Je comprends aussi la volonté de rendre la série exportable. Mais quand deux Français échangent entre eux en anglais dans une scène censée se passer à l’ambassade de France, quelque chose ne colle plus. Même chose pour les Italiens, les Allemands, les journalistes… Tout le monde parle anglais, tout le temps. Sauf les Afghans, qui s’expriment en dari dans la version originale. Ce qui donne un contraste étrange. Un contraste qui aurait pu être intéressant s’il avait été traité comme un vrai parti pris. Mais ici, ça ressemble davantage à un compromis technique.
Il y a même des moments franchement absurdes : un diplomate italien qui appelle sa mère restée en Italie… et lui parle en anglais. Un soldat français qui s’adresse à un collègue français dans un langage appris à l’école. Ce décalage m’a gêné. Il affaiblit le réalisme que la série essaie pourtant de maintenir à d’autres niveaux. Malgré cela, je reconnais à Kaboul un certain courage. Le scénario ne cherche pas à glorifier l’intervention étrangère. Il montre plutôt ses failles, son impréparation, et son départ précipité. On sent l’amertume de ceux qui ont cru au projet démocratique et qui, vingt ans plus tard, assistent à sa chute brutale.
Il y a une volonté claire de mettre les civils afghans au centre du récit. Et ça, c’est suffisamment rare pour être souligné. On voit leurs dilemmes, leurs sacrifices, leur peur. La série rappelle que l’Afghanistan, ce n’était pas que des opérations militaires ou des négociations de haut niveau. C’était aussi des familles, des professions, des gens qui tentaient de vivre dans un pays sous pression constante. Certains moments évoquent directement le chaos de la diplomatie. Les ambassades improvisent des listes, les soldats filtrent les entrées à l’aéroport, les passeports sont vérifiés, re-vérifiés, jetés, retrouvés.
On comprend que la survie ne dépend pas d’un plan bien huilé, mais souvent d’un simple coup de chance. Malgré les efforts d’écriture, j’ai trouvé que la série restait plus efficace qu’émouvante. La tension est bien là, elle monte, elle se maintient. Mais l’émotion, elle, ne suit pas toujours. Peut-être à cause de cette fragmentation narrative. Peut-être aussi parce qu’on nous donne peu de moments d’intimité réelle. Tout va vite. Trop vite parfois. Les personnages sont souvent interrompus, coupés dans leurs élans. Pas forcément par le montage, mais par l’urgence même de la situation.
On ne leur laisse pas le temps de se dévoiler autrement que dans l’action. Résultat : j’ai compris leurs enjeux, mais je les ai rarement ressentis. Un exemple : le dernier épisode. Il est censé clore les trajectoires, donner un sens à ce qui précède. Mais il m’a semblé un peu précipité. Comme si l’on manquait de place pour poser les valises, pour respirer. Pourtant, après tant de tension, c’est ce que j’attendais : un moment de silence, de recul, quelque chose de simple, de juste. Il n’est jamais venu. Kaboul oscille constamment entre le souci du détail et les incohérences dues à la production. Cela crée un paradoxe. On sent que les auteurs ont travaillé leur sujet, que la documentation est là.
On sent aussi que la mise en scène cherche à éviter les clichés. Mais à côté, certaines facilités viennent tout fragiliser. Par exemple, le niveau d’anglais de tous les personnages. Même les civils afghans parlent avec une fluidité qui frôle le romanesque. Et les téléphones ? Toujours allumés, toujours du réseau, peu importe le contexte. Des éléments comme ceux-là me sortent de l’histoire. Ils ne sont pas graves en soi, mais ils s’accumulent. Et puis il y a le format. Six épisodes. C’est court. Peut-être trop court pour raconter autant. Chaque épisode fait le choix d’ouvrir une nouvelle porte, de suivre un nouveau visage.
Mais à la fin, cela donne une série qui ressemble à un patchwork : bien cousu, mais dont les morceaux restent visibles. Malgré les défauts que j’ai pu relever, je ne regrette pas d’avoir regardé Kaboul jusqu’au bout. Elle n’est pas sans maladresses, mais elle a le mérite de poser des questions essentielles : que reste-t-il de deux décennies d’intervention ? Pourquoi ce départ précipité ? Qui a vraiment payé le prix de cette guerre ? Je pense que la série gagnerait à être vue, ne serait-ce que pour rappeler ce que l’on préfère oublier trop vite.
La manière dont elle traite les civils afghans, leur humanité, leur désespoir, mérite l’attention. J’aurais aimé que l’ensemble soit plus cohérent, plus incarné. Mais le sujet, lui, reste crucial. Et c’est peut-être là l’essentiel.
Note : 5/10. En bref, malgré les défauts que j’ai pu relever, je ne regrette pas d’avoir regardé Kaboul jusqu’au bout. Elle n’est pas sans maladresses, mais elle a le mérite de poser des questions essentielles : que reste-t-il de deux décennies d’intervention ? Pourquoi ce départ précipité ? Qui a vraiment payé le prix de cette guerre ?
Disponible sur france.tv
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