5 Juillet 2025
Quand il s'agit de séries qui aiment surprendre, The Sandman joue dans une catégorie à part. Alors que la saison 1 s’achevait avec le dixième épisode, Netlfix avait alors décidé d’offrir un épisode bonus. Un bonus qui prend la forme de deux histoires indépendantes. Deux récits singuliers mais reliés par un même fil : la puissance des rêves et les conséquences de nos désirs. Voici mon regard sur cet épisode hors norme, en toute subjectivité et sans connaissance des bandes dessinées à l’origine de la série. Cet épisode se divise en deux parties bien distinctes : d'abord A Dream of a Thousand Cats, une fable animée qui donne la parole à nos amis félins ; ensuite Calliope, un conte bien plus sombre sur l’exploitation des êtres et la souffrance imposée au nom de la création.
Deux récits qui n’ont, à première vue, rien en commun, mais qui se rejoignent sur la question de l'empathie et de la capacité des humains à oublier l’humanité de ceux qu’ils utilisent. Ce qui m’a marqué dans cet épisode, c’est ce basculement permanent entre fantastique, violence et poésie. Il ne s'agit pas de simple divertissement : il y a dans chaque séquence une forme de mise en abîme sur la nature même du pouvoir, de la liberté et du respect de l'autre, même quand cet "autre" semble éloigné de ce que l’on considère comme humain. La première partie du bonus m’a d’abord désarçonné par son format. Une animation aux couleurs vaporeuses, presque picturales, qui tranche avec l’univers visuel habituel de la série.
J’ai trouvé ce choix pertinent pour un récit qui s’inscrit dans une logique de mythe, une fable racontée par des chats qui s’imaginent un autre monde. Le point de départ est simple : un chat prophète rassemble ses congénères pour leur raconter l'histoire oubliée d’un monde où les chats étaient les dominants. Les humains n’étaient alors que des jouets entre leurs griffes. Mais un jour, ces mêmes humains ont rêvé d'un autre monde où ils seraient au sommet de la chaîne. Et parce qu’ils furent assez nombreux à le rêver, ce monde est devenu réalité. Cette idée de la réalité comme résultat d’un rêve collectif m’a vraiment interpellé. On touche ici à la question de la croyance partagée, du pouvoir de l’imaginaire collectif sur le réel.
Mais ce qui rend ce conte plus perturbant, c’est le parallèle évident avec des dynamiques bien humaines : domination, renversement des pouvoirs, mémoire collective effacée. Au-delà de la fable, ce qui m'a touché, c'est la détresse intime du chat prophète, qui ne trouve plus sa place dans ce nouveau monde. Son histoire personnelle, marquée par la violence des humains envers elle et ses petits, donne un poids émotionnel à un récit qui aurait pu n'être qu'une simple curiosité onirique. Si j'ai apprécié l'intention artistique derrière l'animation, je dois avouer que certains passages m'ont laissé un peu froid. Le style semi-réaliste donne parfois un côté figé aux personnages, et certaines scènes m'ont rappelé ces publicités pour médicaments aux États-Unis avec des images synthétiques un peu étranges.
C'est dommage, car le propos mérite un écrin visuel plus abouti. Malgré tout, l’univers onirique est là. La représentation du monde du Rêve vu par les chats m’a particulièrement séduit : Morpheus y apparaît sous la forme d’un énorme Maine Coon, et son palais devient un simple abri de pierre. Ce décalage de perspective, à la fois poétique et symbolique, est un vrai point fort. Ce premier segment m'a laissé sur une réflexion plutôt amère : même dans la fiction, il est difficile d’échapper à notre réflexe humain de ne s’intéresser à autrui que s’il nous ressemble. Les chats de l’histoire ne suscitent l’empathie que parce qu’ils renvoient une image déformée de notre propre condition. Le deuxième récit du bonus m’a profondément remué. Calliope nous plonge dans un univers bien plus sombre, où un écrivain en perte d'inspiration se procure une muse prisonnière pour retrouver la créativité qui lui fait défaut.
Ce que j’ai vu dans cette histoire, ce n’est pas seulement une allégorie sur le processus artistique, mais surtout une critique cinglante de l’exploitation et de la violence que certains infligent sans scrupule pour leur propre profit. Richard Madoc, l’écrivain en question, est un personnage glaçant. Sa transformation progressive, de l’homme hésitant au bourreau cynique, m’a mis mal à l’aise. Il ne se contente pas d’exploiter Calliope, il se persuade qu’il a raison de le faire. Il habille sa cruauté de rationalisations confortables et même de prétentions morales. Cette hypocrisie m’a particulièrement marqué, car elle résonne avec des comportements qu’on croise encore trop souvent dans notre société.
Le fait que Calliope soit littéralement une muse n'efface en rien l'horreur de sa situation. Ce n’est pas un simple symbole. C’est une femme piégée, bafouée, réduite à un objet. J’ai trouvé la mise en scène sobre, sans voyeurisme, ce qui permet au récit de ne pas tomber dans la complaisance tout en rendant palpable la détresse du personnage. Il y a une ironie cruelle dans ce segment : Madoc retrouve son inspiration au prix de la souffrance d’autrui, et ce succès le mène paradoxalement vers sa propre destruction. La malédiction imposée par Dream – un flot ininterrompu d’idées jusqu’à la folie – est un retournement de situation que j’ai trouvé particulièrement efficace. Ce n’est pas une simple vengeance, mais une forme de justice symbolique.
Là où Madoc refusait de voir Calliope comme une personne, il est à son tour dépossédé de sa propre humanité, consumé par ce qu’il désirait tant. La question de la limite morale dans la création artistique traverse tout le récit. Jusqu'où est-on prêt à aller pour créer ? Que devient l'art quand il naît de la violence et de la contrainte ? Ce deuxième segment est aussi l’occasion de retrouver Morpheus sous un autre jour. Contrairement aux premiers épisodes où il apparaissait distant, presque inhumain, il dévoile ici un visage plus compatissant, plus nuancé. Il ne se contente pas d’intervenir pour réparer une injustice : il écoute, il soutient, il semble même affecté par ce qu’il découvre. Une évolution qui donne un nouvel éclairage au personnage.
Un autre aspect qui m’a frappé dans Calliope, c’est la façon dont le pardon est abordé. Après avoir été libérée, Calliope demande à Dream de lever la malédiction qui pèse sur Madoc. Cette décision m’a laissé perplexe. Comment pardonner aussi vite ? Comment trouver la force de relâcher celui qui vous a brisée ? Cela peut paraître précipité, mais j’y ai vu un message sur la nécessité, parfois, de se détacher de ses bourreaux pour se reconstruire. Le pardon, ici, ne signifie pas oublier ni excuser. C’est une manière pour Calliope de reprendre le contrôle sur sa propre histoire. Il est aussi intéressant de noter que les rapports entre Calliope et Morpheus sont marqués par un passé commun. Le fait qu’ils aient été un couple apporte une dimension intime à leur échange. Pourtant, rien n’est réellement résolu.
Il y a entre eux une distance, une douleur sourde, qui souligne que certaines blessures ne guérissent pas si facilement. Ce bonus de The Sandman est bien plus qu’un simple hors-série. Il propose deux histoires qui, malgré leur différence de ton et de style, posent les mêmes questions essentielles : qu’est-ce qui nous pousse à nier l’humanité des autres ? Pourquoi certaines vies semblent toujours moins dignes d’être respectées ? Quel rôle joue l’imaginaire dans la construction de nos réalités ? J’ai apprécié que la série prenne le temps de raconter ces récits en dehors de l’intrigue principale. Cela permet de souffler, mais surtout d’approfondir l’univers du Rêve et les thèmes qui le traversent.
Il n’est pas nécessaire d’avoir lu les bandes dessinées pour être touché par ces histoires : elles parlent d’un langage universel, celui de la peur, de la cruauté et de l’espoir. Ce onzième épisode de The Sandman est une parenthèse qui bouscule. Il alterne entre douceur et brutalité, entre fable et cauchemar, et laisse derrière lui un étrange sentiment de malaise et de beauté entremêlés. En refusant de délivrer des leçons toutes faites, il pousse à s’interroger sur nos propres rêves, nos propres choix, et les conséquences qu’ils peuvent avoir sur les autres.
Note : 7/10. En bref, ce onzième épisode de The Sandman est une parenthèse qui bouscule. Il alterne entre douceur et brutalité, entre fable et cauchemar, et laisse derrière lui un étrange sentiment de malaise et de beauté entremêlés.
Disponible sur Netflix
La saison 2 de The Sandman, qui est aussi la dernière de la série, est disponible sur Netflix.
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