9 Octobre 2025
Steve // De Tim Mielants. Avec Cillian Murphy, Jay Lycurgo et Emily Watson.
Après leur collaboration sur Tu ne mentiras point, drame austère sur les pensionnats religieux en Irlande, Cillian Murphy retrouve le réalisateur flamand Tim Mielants et l’actrice Emily Watson pour Steve. Cette nouvelle production, il délaisse les couvents pour les foyers d’éducation des années 1990. Moins solennel mais plus nerveux, le film s’intéresse à une seule journée dans la vie d’un éducateur épuisé, enfermé dans un système qui s’effondre autour de lui. Le film se déroule dans un centre pour jeunes en difficulté, une de ces institutions à mi-chemin entre la maison de redressement et le refuge social. Steve, incarné par Cillian Murphy, en est le directeur.
24 heures dans la vie de Steve, un directeur d'une école qui lutte pour garder ses élèves dans le droit chemin.
C’est un homme fatigué, rongé par la frustration et les démons personnels. Les problèmes de financement, la présence d’une équipe de télévision venue tourner un documentaire, la visite d’un député opportuniste et les tensions entre les élèves font de cette journée un véritable champ de mines. Tim Mielants choisit de concentrer tout le récit sur vingt-quatre heures. Ce choix donne au film une atmosphère d’urgence presque étouffante. Chaque scène semble sur le point d’exploser. On sent la pression monter chez Steve, partagé entre son devoir de protection et sa colère face à un système défaillant. Le film adopte un rythme vif, parfois chaotique, qui colle à l’état mental de son personnage principal.
Impossible de parler de Steve sans évoquer la performance de Cillian Murphy. L’acteur irlandais, récemment oscarisé pour Oppenheimer, se débarrasse ici de toute posture héroïque. Son Steve est un homme fatigué, tendu, parfois au bord de la folie. Il oscille entre empathie et exaspération, tendresse et perte de contrôle. Murphy joue sur une palette de nuances fines : un regard vide, un geste nerveux, un souffle court. À mesure que la journée avance, Steve s’effondre peu à peu, au point de se confondre avec les adolescents qu’il essaie de sauver. Le film montre comment la violence des jeunes résonne avec celle, plus intériorisée, de l’adulte.
C’est l’un des aspects les plus réussis de Steve : la manière dont Mielants filme l’usure du corps et de l’esprit face à la mission impossible d’éduquer, protéger, réparer. Le réalisateur adopte une mise en scène proche du documentaire. Caméra à l’épaule, plans serrés, lumière naturelle : tout semble conçu pour nous plonger au cœur du chaos. L’effet est immédiat. On sent la fatigue dans les couloirs, la tension dans les voix, la lassitude dans les regards. Cette recherche de réalisme est efficace, mais elle a un prix. Le film ne prend jamais le temps de respirer, et les émotions s’enchaînent sans toujours trouver leur écho.
Le scénario aurait mérité plus d’espace pour explorer ses thématiques : la déshumanisation des structures éducatives, la solitude des encadrants, le désarroi des jeunes face à un monde qui les abandonne. Mielants préfère coller à son héros, quitte à délaisser les personnages secondaires. Dommage, car certains adolescents, notamment Shy (interprété par Jay Lycurgo), laissent entrevoir des histoires bouleversantes à peine esquissées. Steve n’est pas un film sur l’éducation au sens noble du terme. C’est une plongée dans l’épuisement moral. Le personnage principal se bat contre la violence extérieure et celle, plus insidieuse, qui le ronge de l’intérieur.
Le film évoque ses addictions à demi-mot — l’alcool, les médicaments — mais c’est surtout la fatigue émotionnelle qui le détruit. On le voit peu à peu adopter les comportements des garçons qu’il tente d’aider : impulsivité, colère, fuite. Le parallèle est clair : dans un système à bout de souffle, la frontière entre ceux qui encadrent et ceux qu’on encadre devient floue. Tim Mielants filme cette contagion du désespoir avec un certain courage, refusant toute morale facile. Steve ne cherche pas à inspirer, il veut simplement montrer la réalité brute d’un métier impossible. Si la caméra de Mielants colle si près des visages qu’elle en devient presque étouffante, elle se permet aussi quelques libertés esthétiques.
Certains plans sont audacieux, voire inutiles, comme cette séquence où la caméra tourne à l’envers autour du bâtiment, créant une boucle visuelle aussi belle qu’incongrue. Ce genre de digression donne au film un peu d’originalité, mais brise parfois le réalisme qu’il s’efforce de construire. La photographie, froide et granuleuse, restitue bien l’ambiance des années 90, sans nostalgie. La bande sonore, discrète, laisse surtout la place au bruit du quotidien : les cris, les portes qui claquent, le silence pesant d’une salle de classe vide. Ce travail sonore, presque invisible, contribue à rendre l’expérience immersive. Emily Watson incarne une collègue bienveillante, témoin impuissant de la déchéance de Steve.
Son rôle, comme celui de Tracey Ullman, apporte un peu de chaleur à l’ensemble, mais reste trop en retrait. Le film s’intéresse avant tout à la lente désagrégation de son protagoniste principal. Cette focalisation exclusive crée un déséquilibre : les jeunes pensionnaires, censés être au cœur du sujet, ne sont jamais vraiment développés. On entrevoit leurs blessures, leurs colères, mais rien n’a le temps de s’installer. Le rythme effréné empêche tout attachement durable, et certaines scènes qui auraient pu être puissantes passent trop vite. Malgré ses limites, Steve réussit à capturer quelque chose de rare : la fatigue de ceux qui veulent trop bien faire. Ce n’est pas un film à message, encore moins une fable optimiste sur la rédemption.
C’est un portrait d’homme brisé, porté par un acteur au sommet de son art. Tim Mielants signe un film à la fois rageur et lucide, parfois confus mais profondément humain. Il y a dans Steve une énergie brute, presque nerveuse, qui empêche l’émotion de sombrer dans le sentimentalisme. Même si la narration reste inégale, le film trouve sa force dans la sincérité de son regard. C’est peut-être là sa plus grande réussite : parler de détresse sans misérabilisme, et rappeler que la compassion a un coût. Steve n’est pas un film parfait. Il est parfois brouillon, souvent frustrant, mais toujours habité. Tim Mielants filme la colère et la fatigue avec une intensité rare, et Cillian Murphy livre une performance dense, tendue, profondément humaine.
Si le film manque de développement autour des jeunes qu’il met en scène, il réussit à saisir l’essentiel : la fragilité d’un homme qui se bat contre un monde qui ne l’écoute plus. Un drame social exigeant, sans concession, qui confirme une chose : Cillian Murphy n’a pas besoin d’un rôle spectaculaire pour briller. Il suffit d’un personnage à bout, d’un foyer au bord du chaos, et d’une caméra honnête pour livrer un film qui, malgré ses failles, reste en tête longtemps après le générique.
Note : 6/10. En bref, un film parfois brouillon, souvent frustrant, mais toujours habité. Tim Mielants filme la colère et la fatigue avec une intensité rare, et Cillian Murphy livre une performance dense, tendue, profondément humaine.
Sorti le 3 octobre 2025 directement sur Netflix
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