Critique Ciné : Ballad of a Small Player (2025, Netflix)

Critique Ciné : Ballad of a Small Player (2025, Netflix)

Ballad of a Small Player // De Edward Berger. Avec Colin Farrell, Tilda Swinton et Fala Chen.

 

Je suis sorti de Ballad of a Small Player avec cette impression étrange : j’avais vu un film, mais j’avais surtout regardé des images magnifiques. Edward Berger signe un film soigné, chaque plan calibré, chaque néon de Macao presque sacré, mais derrière cette perfection formelle, le vide guette. C’est un peu comme contempler un tableau hyper réaliste d’un désastre : tu admires la technique, tu subis le chaos. Le film suit Lord Doyle, interprété par Colin Farrell, un avocat britannique ruiné devenu joueur compulsif. Macau, ses casinos, sa lumière néon, son humidité poisseuse : Doyle y erre comme un dandy au bord du gouffre. 

 

Un joueur invétéré décide de se faire discret à Macao après que son passé et ses dettes l'ont rattrapé. En chemin, il rencontre un esprit semblable qui pourrait bien détenir la clé de son salut.

 

Le personnage est fascinant, parce qu’il est en permanence sur le fil entre le désespoir et l’illusion de contrôle. Farrell s’en sort, évidemment. Il incarne ce joueur perdu avec une vulnérabilité palpable, oscillant entre auto-destruction et l’espoir que tout va finir par tourner en sa faveur. Même si son rôle semble souvent tenir le film à bout de bras. Autour de lui, le reste du casting est solide mais sous-exploité. Fala Chen, dans le rôle de Dao Ming, incarne une mystérieuse employée de casino qui veut jouer sa propre partie. Mais son personnage reste un peu fantomatique : elle existe surtout pour refléter Doyle, pour le pousser ou l’arrêter, sans jamais vraiment exister par elle-même. 

 

Tilda Swinton, quant à elle, a ce charme froid et inquiétant qui fonctionne toujours, mais on sent que son rôle aurait pu être plus qu’un simple miroir de tentation et de jugement. Les autres acteurs restent dans l’ombre, comme si tout ce qui comptait, c’était l’errance de Farrell dans les décors de Macao. Et Macao… quelle star du film ! La ville est filmée comme un personnage à part entière. Pluie, néons, casinos dorés, ruelles étroites et humides : Berger ne fait pas que montrer la ville, il la fait respirer. On ressent la chaleur étouffante, le parfum de cigarette et de fortune perdue. Chaque plan est travaillé, chaque reflet sur une vitre ou sur un jeton raconte quelque chose. 

 

On pourrait presque oublier que l’histoire peine à avancer, tant l’image hypnotise. Mais c’est précisément le problème : le film s’attarde plus sur le style que sur le fond. La mise en scène devient spectacle, et le spectateur un observateur passif. L’histoire suit Doyle dans sa descente aux enfers et ses tentatives de rédemption. Le film oscille entre réalité et hallucination, laissant planer le doute sur ce qui est vrai ou fantasmé. C’est parfois intrigant, parfois frustrant. On sent le potentiel d’une exploration profonde de l’addiction et de la culpabilité, mais le scénario ne creuse jamais vraiment. La relation entre Doyle et Dao Ming est belle sur le papier, mais manque de crédibilité émotionnelle. 

 

On est souvent dans le flou, et pas dans un flou artistique qui servirait le récit : plutôt un flou qui laisse le spectateur un peu paumé. Pourtant, il y a des moments qui fonctionnent. Farrell, malgré la complexité du rôle, réussit à donner de la chair à ce joueur en perdition. Ses gestes, ses regards, son souffle haletant dans les couloirs des casinos ou sur une barge battue par la pluie, sont presque tangibles. On sent son désespoir, sa solitude et sa lutte contre ses démons intérieurs. Mais même lui ne peut complètement sauver une intrigue qui tourne parfois en rond, comme une roulette qui refuse de s’arrêter. Le film a ses longueurs. 

 

Certaines scènes traînent, le rythme s’étire, et on se surprend à vérifier l’heure ou à chercher le prochain plan où quelque chose va enfin se passer. Et même si l’esthétique de Berger est impeccable, le film manque d’un véritable souffle narratif. L’addiction de Doyle est bien montrée, viscérale, mais elle ne suffit pas à donner une dynamique suffisante pour tenir un film de 2 heures. L’histoire de rédemption, de hasard et de choix ratés se perd dans les images, et le spectateur reste souvent spectateur de l’ambiance plutôt que de l’action. Visuellement, cependant, le film est un régal. 

 

Les néons de Macao, la pluie sur les façades, les casinos éclairés comme des temples de fortune : chaque plan pourrait presque être imprimé et accroché dans un musée. La lumière, la couleur, la composition : Berger maîtrise tout ça avec un soin presque obsessionnel. Et c’est là que réside le paradoxe du film : il est esthétiquement brillant mais narrativement léger. Les spectateurs qui aiment se perdre dans un monde visuel riche seront comblés, mais ceux qui cherchent une intrigue serrée ou un scénario original pourraient rester sur leur faim. Le choix du mélange de réalité et de rêve, d’illusion et de vérité, aurait pu donner au film une dimension plus psychologique, plus intense. 

 

Mais souvent, ce flou ne sert que l’élégance formelle. L’aspect psychédélique ou presque mystique de certains passages est intrigant mais jamais pleinement exploité. Le spectateur ressent un mélange d’attrait et de frustration, conscient du potentiel gaspillé. En résumé, Ballad of a Small Player est une expérience double : un film où l’esthétique et la photographie prennent le pas sur le récit. Colin Farrell porte le film avec sa performance convaincante et fragile, mais le scénario ne suit pas toujours. Macau est filmé avec une précision hallucinante, les casinos deviennent des labyrinthes fascinants, mais Doyle semble parfois perdu dans ces décors plus que dans sa propre histoire.

 

C’est un film où le spectateur admire la lumière, le cadre, la composition, et reste un peu sur le bord du chemin, en attendant que quelque chose cloche ou explose. On rit peu, on frissonne peu, mais on se laisse porter par la beauté des images. Berger réussit son spectacle visuel, mais laisse le cœur du film — l’histoire et les personnages — un peu en friche. Si vous voulez voir un film sur un joueur compulsif à Macao, avec une ambiance visuelle hypnotique et un Colin Farrell intense, ça vaut le coup. Mais si vous cherchez une intrigue solide et un développement profond des personnages, vous risquez d’être frustré. 

 

Note : 5.5/10. En bref, ce film ressemble à son héros : élégant, mélancolique, mais creux sous la surface. Une belle ballade visuelle avec un arrière-goût de regret et de cendres, où le cinéma se contemple plus qu’il ne frappe.

Sorti le 29 octobre 2025 directement sur Netflix

 

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